Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/200

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le visage cuivré semblait enflammé de dépit et de rage ; ses cheveux étaient couverts de l’écume de la mer, et il ressemblait à Neptune armé de son trident. Sans prononcer un seul mot, il leva en l’air son harpon, et en frappant d’un bras vigoureux le malheureux capitaine anglais, il le cloua contre son grand mât.

— Tous à l’arrière ! s’écria-t-il par une sorte d’instinct après avoir frappé ce coup ; et ramassant le mousquet du marin tué par Merry, il se servit de la crosse comme d’une massue pour en décharger des coups terribles sur tout ce qui se trouvait à sa portée, dédaignant d’employer la baïonnette.

Cependant l’infortuné commandant de l’Alerte brandit un instant son sabre en roulant des yeux égarés, dans les angoisses de la mort, et penchant la tête sur sa poitrine ensanglantée, il expira presque sur-le-champ, toujours cloué à son mât ; spectacle affreux et décourageant pour ce qui restait de son équipage ! Quelques Anglais plongés dans une horreur silencieuse semblaient enchaînés à ses côtés, sans songer davantage à se défendre ; les autres descendirent sous les ponts et à fond de cale, et les Américains restèrent maîtres du bâtiment.

Les deux tiers des hommes qui composaient l’équipage du cutter avaient été tués ou blessés pendant ce combat, quoiqu’il eût duré moins de temps que nous n’en avons mis à le décrire, et Barnstable lui-même acheta sa victoire par la perte d’un assez bon nombre de ses braves compagnons. Mais ce n’était pas dans le premier enthousiasme du triomphe qu’on pouvait apprécier cette perte, et de grands cris de joie annoncèrent le triomphe des vainqueurs. Après un instant accordé à ces transports tumultueux, Barnstable donna tous les ordres qu’exigeaient les devoirs de l’humanité ; et pendant qu’on séparait les deux bâtiments, qu’on jetait à la mer les corps de ceux qui avaient succombé, qu’on descendait les blessés dans la cabane, et qu’on garrottait les prisonniers, il se promenait sur le tillac de sa prise en se livrant à de profondes réflexions. Il passait fréquemment sa main sur son front noirci par la poudre et couvert de sang, tandis que ses yeux se fixaient de temps en temps sur le nuage de fumée qui couvrait les deux navires et qui semblait un brouillard de l’océan. Enfin il annonça à son équipage le résultat de sa délibération.

— Baissez tous vos pavillons, s’écria-t-il, et arborez les couleurs