Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/191

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elle aventure son bonheur lorsqu’elle n’a pu juger de sang-froid l’homme à qui elle le confie. Jane a failli en faire la triste expérience ; j’espère que vous n’êtes pas décidée à l’éprouver à votre tour.

Tandis qu’elle parlait, Mrs Wilson avait pris les mains d’Émilie ; et, par son regard et son accent solennel, elle avait réussi à faire naître dans le cœur de la pauvre enfant l’appréhension de quelque malheur, quoiqu’elle fût encore loin de penser que Denbigh pût y être pour quelque chose.

Voulant enfin s’acquitter du pénible devoir qu’elle s’était imposé, Mrs Wilson reprit avec émotion : — N’avez-vous pas remarqué le portefeuille que Dick a rendu à M. Denbigh ? Émilie fixa sur sa tante un œil égaré ; et celle-ci ajouta d’une voix mal assurée : — C’était celui que Mrs Fitzgerald m’a remis ce matin. Une lueur de l’affreuse vérité pénétra dans le cœur d’Émilie ; dans son trouble, dans son désespoir, elle ne vit qu’une chose, c’est que Denbigh était à jamais perdu pour elle. Elle tomba privée de sentiment entre les bras de sa tante.

Mrs Wilson, après des efforts longtemps infructueux, parvint enfin à la rappeler au sentiment de son infortune ; et, ne voulant pas que personne autre qu’elle fût témoin de la première explosion de sa douleur, elle réussit à la conduire dans sa chambre et à la mettre au lit. Émilie ne se plaignait point, elle ne versait pas une larme, elle ne faisait aucune question ; son œil était fixe, et toutes ses facultés semblaient absorbées sous le poids affreux qui oppressait son cœur.

Mrs Wilson avait trop de véritable sensibilité pour lui adresser des consolations prématurées ou des réflexions inutiles ; elle s’assit en silence au chevet de son lit, et attendit avec anxiété la fin de cette crise effrayante.

Enfin les beaux yeux d’Émilie levés vers le ciel, et ses mains jointes avec ferveur, lui apprirent qu’elle avait recours au consolateur des affligés ; sa piété reçut bientôt une première récompense, et un torrent de larmes vint la soulager.

Lorsque Émilie fut un peu plus calme, elle écouta toutes les raisons qu’avait sa tante de croire à la culpabilité de Denbigh ; bientôt il ne lui fut plus possible d’en douter elle-même, et son cœur fut brisé. L’agitation de son esprit lui ayant donné un peu de fièvre, sa tante l’engagea à rester dans sa chambre ; et Émilie, sen-