Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/207

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remarquer dans sa conduite et jusque dans ses moindres paroles. Il n’en était pas de même de Jane : son orgueil avait souffert plus que sa sensibilité ; son imagination avait été trompée plus que son jugement, et, quoique trop bien élevée et d’un caractère trop doux pour devenir maussade ou querelleuse, son amitié et sa confiance avaient fait place à la froideur et à la réserve. Ses parents remarquaient cette altération dans son humeur avec d’autant plus de peine, qu’ils ne pouvaient se dissimuler qu’ils auraient pu prévenir ses chagrins par plus de soins et plus de prévoyance.

Francis et Clara étaient revenus de leur petit voyage, si heureux l’un par l’autre, et si contents de leur sort, que la vue de leur bonheur allégeait un peu le poids qui oppressait tous les cœurs. Le récit des incidents de leur voyage vint distraire un moment leurs amis ; et une douce mélancolie remplaça la gaieté et le bonheur qui animaient naguère les traits de tous les habitants de Benfield-Lodge. M. Benfield, depuis quelques jours, avait un air de mystère dont personne ne devinait la cause. On le trouvait toujours feuilletant d’anciens papiers, et paraissant occupé de préparatifs qui annonçaient qu’il se disposait à quelque action importante.

— Le quatrième jour après le départ de John, toute la famille venait de finir de déjeuner, lorsque le vieil intendant entrouvrit modestement la porte, et se glissa dans le parloir. À l’instant tous les yeux furent fixés sur lui dans l’attente des nouvelles qu’il apportait, et chacun paraissait craindre de rompre le silence, de peur qu’elles ne fussent point heureuses. Pendant ce temps Peter, qui avait laissé respectueusement son chapeau à la porte, s’occupait à dépouiller tous les vêtements de surplus dont sa prudence l’avait engagé à se couvrir pour se défendre de l’inclémence de la saison. Son maître se leva, et étendit la main pour recevoir la réponse qu’il attendait. Johnson parvint enfin à tirer son portefeuille de cuir noir, et il y prit une lettre dont, suivant sa coutume, il lut l’adresse à haute voix.

— À Roderick Benfield, écuyer, à Benfield-Lodge (Norfolk). Confié aux soins de M….. Ici la modestie de Peter l’empêcha de continuer. Jamais il n’avait été appelé monsieur par personne. Tout le voisinage le connaissait depuis bien des années comme Peter Johnson, et dans son empressement à remplir ce qu’il regardait comme un devoir, il avait été au moment de se rendre cou-