Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/228

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il s’établit une consultation entre les deux dames sur les changements qu’il faudrait faire à la voiture. — D’abord, dit lady Egerton, il est de nécessité absolue de changer les armes pour y substituer celles de sir Henry, avec la main sanglante et les six quartiers : ensuite il fallait commander de nouvelles livrées.

— Oh ! mon Dieu, Milady, si les armes sont changées, M. Jarvis s’en apercevrait infailliblement ; il ne me le pardonnerait jamais, et peut-être…

— Eh bien ! peut-être ? s’écria la jeune dame en secouant dédaigneusement la tête.

— Ma foi, il pourrait bien ne pas me donner les cent guinées qu’il m’a promises pour la faire peindre à neuf, reprit la mère avec quelque chaleur.

— Comme il vous plaira, Mrs Jarvis, dit la nouvelle lady avec beaucoup de dignité, mais j’entends que ma voiture porte mes armes et la main sanglante.

— En vérité, vous n’êtes pas raisonnable, dit Mrs Jarvis d’un air mécontent ; puis elle ajouta après un moment de réflexion : — Est-ce aux armes ou bien à la main sanglante que vous tenez, ma chère ?

— Oh ! je me soucie fort peu des armes ; mais je suis bien résolue, maintenant que je suis l’épouse d’un baronnet, Mrs Jarvis, de faire peindre sur ma voiture l’emblème de mon rang.

— Assurément, Milady, c’est avoir le sentiment de sa dignité. Eh bien donc, nous mettrons la main sanglante au-dessus des armes de votre père, et il n’y fera pas attention, car il ne regarde jamais ces sortes de choses.

Cet arrangement fut adopté, et dès le lendemain la voiture de Mrs Jarvis fut décorée de l’emblème si désiré. Tout alla pour le mieux pendant quelques jours, et Mrs Jarvis s’applaudissait tout bas du succès de sa ruse. Mais, un malheureux jour, le marchand qui était dans l’usage d’aller à la Bourse toutes les fois qu’il devait s’y faire quelque grande opération, rentra brusquement chez lui pour chercher un calcul que le dimanche précédent il avait fait sur son livre de prières pendant le sermon ; il le découvrit après quelques recherches, descendit précipitamment, et, trouvant la voiture de sa femme à la porte, il y monta pour se rendre chez son banquier.

M. Jarvis oublia de dire au cocher de ne point l’attendre, et