Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/58

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rière, qui avait appris, par les informations qu’elle avait employé toute la matinée à recueillir, que la somme totale des revenus de l’héritier de sir Edgar présenterait le nombre de chiffres indispensables pour un mari.

Après le dîner, lorsqu’on fut réuni dans le salon, la douairière tâcha d’amener le colonel à faire avec sa fille aînée une partie d’échecs, jeu qu’elle avait fait apprendre à Catherine, comme celui qui lui paraissait le plus propre à retenir longtemps un jeune homme sans permettre à son attention d’être détournée par les charmes qu’on voit souvent errer dans un salon, « cherchant quelqu’un qu’ils puissent dévorer. »

C’était aussi un jeu très-propre à favoriser le développement d’un beau bras et d’une jolie main ; mais les facultés inventives de lady Chatterton s’épuisèrent longtemps sans succès pour trouver le moyen d’y montrer aussi le pied, et elle connaissait trop l’effet de la concentration des forces pour permettre qu’un seul auxiliaire ne se signalât pas sur le champ de bataille. Après avoir étudié elle même dans sa glace les attitudes les plus gracieuses, elle entreprit d’apprendre à Catherine la tenue ingénieuse qu’elle avait trouvée ; et à force d’études réitérées et soutenues, cette dernière exécuta, à la satisfaction de son institutrice, la manœuvre habile qui consistait à avancer son petit pied de côté, de manière à ce que son adversaire ne pût détourner les yeux du beau bras qui s’arrondissait pour exécuter des évolutions plus ou moins savantes, sans rencontrer un objet encore plus séduisant, et qu’il tombait ainsi de Charybde en Scylla.

John Moseley fut le premier sur lequel la douairière résolut d’essayer l’effet de cette nouvelle batterie, et après avoir mis les parties en présence, elle s’éloigna à une petite distance pour en épier le résultat.

— Échec au roi, miss Chatterton, dit John au commencement de la partie. Catherine avança doucement son joli pied.

— Échec au roi, monsieur Moseley, dit-elle à son tour, tandis que les yeux de John, erraient de la main au pied, et du pied à la main.

— Est il possible ! dit John d’un air distrait et préoccupé. En relevant la tête il rencontra les yeux de la douairière fixés sur lui d’un air de triomphe.

— Oh ! oh ! se dit-il en lui-même, vous êtes là, mère Chatter-