Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 1, 1839.djvu/97

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venue de son effroi ; et, indécise, elle regardait alternativement son frère, la frêle voiture qui venait de recevoir un si rude choc, et les chevaux fringant qui frappaient du pied, dans l’impatience de reprendre leur course.

— Si monsieur Moseley veut monter avec ces dames dans mon cabriolet, dit M. Denbigh avec modestie, je reconduirai le phaéton à Moseley-Hall, d’autant plus qu’il ne serait pas prudent d’y remonter trois.

— Non, non, Denbigh, répondit John froidement, vous n’êtes pas habitué à mener des chevaux aussi fougueux que les miens, et je craindrais qu’ils ne vous jouassent quelque mauvais tour ; mais, si vous étiez assez bon pour prendre Émilie dans votre cabriolet, Grace, j’en suis sûr, voudra bien encore se confier à moi, et nous regagnerons ainsi le château sans danger.

Grace, presque involontairement, présenta sa main à John, qui la plaça dans le phaéton, tandis que Denbigh offrait la sienne à Émilie d’un air respectueux.

Ce n’était pas le moment de montrer une pruderie déplacée, lors même qu’Émilie en eût été capable, et elle monta en rougissant dans le cabriolet. Avant de s’y placer près d’elle, Denbigh tourna ses regards vers les malheureux auxquels il avait déjà parlé. Arrêtés près de là, ils venaient d’attirer aussi l’attention de John, qui demanda à Denbigh ce qu’étaient ces pauvres gens. Leur triste histoire n’était pas longue, et leur misère était évidente. Le mari, ancien jardinier d’un gentilhomme du comté voisin, venait d’être renvoyé par l’intendant, qui avait besoin de sa place pour la donner à un de ses parents ; ce pauvre homme, se voyant sur le pavé, avec une femme et quatre enfants, n’ayant pour tout bien que les gages d’une semaine, s’était mis en route avec sa famille pour se rendre dans le village où il était né, et où il aurait des droits au secours de la paroisse. Mais ses petites ressources étaient épuisées ; les enfants pleuraient de faim et de fatigue, et la mère, qui nourrissait le plus jeune, incapable d’aller plus loin, et de supporter le spectacle déchirant qui l’entourait, s’était laissée tomber à terre, près de succomber à l’épuisement et à la douleur.

En écoutant ce triste récit, Émilie et Grace ne purent retenir leurs larmes ; John oublia ses chevaux, oublia Grace elle-même, en entendant les plaintes de la pauvre mère, qui distribuait à ses