Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/201

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involontaire de Trysail. L’avertissement qui venait du nuage ne devait pas être dédaigné. Le vent, qui avait été variable pendant si longtemps, commença à se faire entendre dans les agrès du silencieux brigantin, et les deux éléments montraient des signes non équivoques de l’approche de la tempête. Le jeune matelot tourna vers son bâtiment des regards où se peignait tout son intérêt. Les vergues étaient sur les chouquets, les voiles enflées flottaient au loin sous le vent, et vingt ou trente figures d’hommes sur chaque espar prouvaient que les gabiers agiles étaient occupés à attacher les voiles et à les mettre au bas ris.

— Avancez sur votre vie ! s’écria Ludlow avec chaleur.

On entendit un seul coup d’aviron, et l’esquif fut poussé à vingt pieds plus loin de la mystérieuse image ; les gens qui le conduisaient firent des efforts désespérés pour atteindre le croiseur avant qu’il fût assailli par la tempête. Le sourd mugissement du vent qui pénétrait dans les agrès du vaisseau s’entendait de loin, et le combat entre le croiseur et les éléments était par moment assez terrible pour faire craindre au jeune commandant d’arriver trop tard.

Le pied de Ludlow touchait le pont de la Coquette au moment où la rafale s’abattait avec furie sur ses voiles. Il ne songea plus qu’au danger du moment ; car, éprouvant les sentiments d’un marin, son esprit était tout à son vaisseau.

— Laissez filer ! s’écria l’officier d’une voix qui se faisait entendre au-dessus des mugissements du vent. Carguez ! ferlez les voiles !

Ces ordres furent donnés successivement et sans porte-voix, car le jeune officier pouvait, lorsque cela était nécessaire, parler aussi haut que la tempête. Ces ordres furent suivis d’un de ces moments terribles si familiers aux marins. Chacun donnait toute son attention à son devoir, tandis que les éléments se déchaînaient autour d’eux avec autant de furie que si la main qui les retient eût été retirée. La baie n’était qu’une nappe d’écume, tandis que le bruit de la tempête ressemblait au roulement de mille chariots. Le vaisseau cédait à son impulsion, et l’on voyait les vagues pénétrer dans ses dalots, et la ligne des mâts élevés s’incliner vers la surface de la baie, comme si l’extrémité de ses vergues allait se plonger dans les eaux. Mais cette soumission au premier choc ne dura qu’un moment.