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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/335

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l’Écumeur aussitôt que son pied toucha le brigantin, et il montra le petit pavillon qui voltigeait au haut du mât d’avant.

— Nous le tenions élevé afin de hâter l’arrivée du pilote, lui répondit-on.

— Le traître n’a-t-il pas tenu sa parole ? s’écria l’Écumeur en reculant de surprise. Il a mon or, et en retour j’ai cinquante de ses indignes promesses. Ah ! le paresseux est dans cet esquif ; que le brick aille à sa rencontre, car les moments sont aussi précieux que l’eau dans un désert.

Le gouvernail était sous le vent, et le léger brigantin avait déjà fait un demi-tour, lorsqu’un autre coup de canon attira tous les regards vers le lieu d’où il était parti. La fumée s’élevait au-dessus d’un coude que formait la côte, et bientôt les hautes voiles de la Coquette, suivies des espars et de la carène, se montrèrent aux contrebandiers. Dans cet instant une voix annonça que le pilote rebroussait chemin, et gagnait la terre à force de rames. Les malédictions qui s’amassèrent sur la tête du délinquant furent énergiques et nombreuses, mais ce n’était pas le moment de l’indécision. Les deux vaisseaux n’étaient pas à un demi-mille de distance l’un de l’autre, et il était nécessaire que la Sorcière des Eaux déployât toute son activité. Son gouvernail avait été changé de bord, et comme s’il eût été sensible au danger qui menaçait sa liberté, l’élégant navire s’inclinait devant la brise qui enflait ses voiles, et avançait avec son agilité habituelle. Pendant vingt minutes, l’œil le plus exercé n’eût pu dire qui gagnait ou qui perdait, tant les deux bâtiments conservaient d’égalité dans leur course. Néanmoins, comme le brigantin fut le premier à atteindre l’étroit passage formé par le Blackwell’s, sa marche fut favorisée par l’accroissement de la force du courant. Il sembla que ce changement, quelque léger qu’il fût, n’échappa pas à la vigilance de la Coquette ; car l’airain, qui avait été silencieux pendant longtemps, envoya de nouveau sa flamme et sa fumée. Quatre décharges en moins d’autant de minutes menacèrent les contrebandiers d’un sérieux désavantage. Les boulets se succédaient à travers leurs espars, et formaient de larges ouvertures dans les voiles. Quelques boulets de plus, et ils étaient privés de tout moyen d’avancer. Dans cette crise, le marin prompt et habile, qui dirigeait les mouvements du brigantin, n’eut besoin que d’un instant pour prendre une décision.