Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/394

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et laissez-nous à la merci de celui dont l’œil est ouvert sur tous les événements de ce monde.

— Allez, ajouta Seadrift dont le sexe ne pouvait être caché plus longtemps, le courage humain ne peut en faire davantage ; laissez-nous mourir !

Les regards qui répondirent à ces prières étaient mélancoliques, mais calmes. L’Écumeur saisit une corde, et la tenant toujours dans sa main il descendit sur le gaillard d’arrière auquel il confia son poids avec une grande prudence ; puis regardant au-dessus de lui il sourit d’une manière encourageante, et dit :

— Où se trouve encore un canon il n’y a pas de danger pour le poids d’un homme !

— C’est notre seule ressource, s’écria Ludlow en suivant son exemple ; venez ici, mes amis, tant que l’avant peut encore soutenir notre poids.

En un moment chacun fut sur le gaillard d’arrière, quoique l’excessive chaleur rendît impossible d’y rester un instant stationnaire ; il y avait de chaque côté un canon dont la bouche était tournée vers le mât d’avant, tremblant, mais toujours debout.

— Visez au taquet ! dit Ludlow à l’Écumeur, qui pointait un des canons tandis que lui-même était prêt à pointer l’autre.

— Attendez ! cria le contrebandier ; ajoutez-y des boulets, ce n’est qu’une chance entre un canon qui crève et un magasin enflammé !

De nouveaux boulets furent introduits dans chaque pièce, et alors, d’une main ferme, les braves marins appliquèrent à l’amorce les mèches enflammées. Les décharges furent simultanées, et pendant un instant des nuages de fumée semblèrent triompher de l’embrasement. On entendait distinctement le craquement du bois ; il fut suivi d’un grand bruit dans l’air, et enfin de la chute du mât d’avant avec son fardeau d’espars. Le mouvement du vaisseau fut aussitôt arrêté, et comme les lourds morceaux de bois étaient toujours attachés au beaupré par les étais d’avant, l’éperon vint au vent tandis que les voiles hautes qui restaient encore tremblèrent et frappèrent les unes contre les autres en tombant en arrière. Depuis le commencement de l’incendie, le vaisseau se trouva pour la première fois stationnaire. Les marins profitèrent de cette circonstance, et passant à travers une montagne de flammes le long des cloisons ils atteignirent le gaillard