Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/414

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La difficulté de leur situation et l’embarras de présenter dans le monde une femme dont l’existence était inconnue à ses amis, ainsi que l’effroi que causait le père malheureux mais conservant toute sa fierté, avaient pu seuls empêcher un mariage légal. Les simples coutumes des colonies furent facilement suivies, et on aurait pu demander si elles n’avaient pas été assez scrupuleusement accomplies pour rendre l’enfant légitime. Lorsque l’alderman van Beverout lut la lettre de celle qu’il avait jadis si tendrement aimée, et dont la perte avait été pour lui un malheur irréparable, puisque son caractère aurait pu céder à sa douce influence, ses mains tremblèrent et tout son corps trahissait la violence de son émotion. Les paroles de la mourante étaient touchantes et exemptes de reproches, elles accordaient un pardon solennel. Elle apprenait à Myndert la naissance de son enfant. Mais la mourante laissait à son propre père la disposition de sa fille, la recommandant cependant à l’amour de Myndert, si jamais la Providence la confiait à ses soins. Les dernières lignes contenaient un adieu dans lequel les affections de ce monde offraient un triste contraste avec les espérances d’une autre vie.

— Pourquoi ce secret m’a-t-il été si longtemps caché ? demanda le marchand ému. Pourquoi, homme léger, m’as-tu exposé à montrer la fragilité de la nature devant mon propre enfant ?

Le sourire du contrebandier se remplit de fierté et d’amertume.

— Monsieur van Beverout, dit-il, nos voyages sont de longue durée. Notre commerce est l’affaire de toute notre vie, notre monde la Sorcière des Eaux. Comme nous avons fort peu des intérêts de la terre, notre philosophie est au-dessus de ces faiblesses. La naissance d’Eudora vous fut cachée par la volonté de son grand-père. Il agit peut-être par ressentiment, peut-être par fierté ; si c’est par affection, la jeune fille peut justifier cet accès de tendresse.

— Et Eudora sait-elle depuis longtemps la vérité ?

— Elle ne l’a apprise que récemment. Depuis la mort de notre ami commun, la jeune fille a été livrée à mes conseils et à ma protection. Il y a maintenant un an qu’elle apprit qu’elle n’était point ma sœur. Jusque-là, elle supposait comme vous que nous descendions du même père. La nécessité m’a forcé depuis quelque temps à la garder souvent sur le brigantin.

— C’est une conséquence méritée de ma faute, murmura l’alderman, je suis puni de ma faiblesse par la honte de mon enfant.