Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/51

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— Par les griffes du diable ! murmura le maître du bac, si vous teniez la Laitière plus éloignée, nous perdrions un peu de distance, quoique je pense que les gens du sloop de guerre auront de la peine à nous atteindre en courant avec les écoutes largues.

— Ce gentilhomme est un messager de la reine, répondit le marin, il serait peu civil de refuser de l’entendre.

— Amenez la périagua ! s’écria le jeune officier qui était dans le cutter. — Au nom de Sa Majesté la reine, je vous commande d’obéir.

— Dieu bénisse la royale dame, reprit le marin, tandis que le bac rapide continuait à avancer ; nous lui rendons nos devoirs, et nous sommes heureux de voir un si digne gentilhomme employé à son service.

Dans ce moment, les barques étaient à cinquante pieds les unes des autres. Aussitôt qu’il y eut de l’espace, la périagua se retourna, commença une nouvelle course, et se dirigea de nouveau vers la terre. Il était nécessaire de s’aventurer près du cutter, à la portée d’un aviron, ou de se tenir au large et prendre du terrain, ce que l’étranger ne semblait pas disposé à faire. L’officier se leva, et, lorsque la périagua s’approcha, il était évident qu’il tenait à la main un pistolet, quoiqu’il semblait répugner à montrer cette arme. Le marin se mit de côté, de manière à offrir aux yeux de l’officier tout le groupe des passagers de la périagua, et il dit d’un ton satirique :

— Choisissez entre nous, Monsieur ; dans une telle société, un homme de goût doit avoir une préférence.

Le jeune officier rougit autant par honte d’avoir été sur le point d’exécuter des ordres dégradants, que par la contrariété de ne pas les remplir.

Recouvrant bientôt son sang-froid, il salua la belle Alida, et la périagua s’éloigna en triomphe. Cependant le premier cutter était près de la terre, où il arriva bientôt ; l’équipage se reposant sur ses avirons, à l’extrémité du quai, attendait l’arrivée du bac. À cette vue, le maître secoua la tête et regarda en face l’étranger, de manière à lui prouver qu’il craignait les résultats de sa conduite. Mais le marin inconnu conserva son sang-froid, et fit plusieurs allusions plaisantes sur le genre de service qu’il avait bravé avec tant de témérité, et auquel personne ne croyait qu’il pourrait échapper. Par les dernières manœuvres, la périagua avait gagné une position sous le vent du quai, et elle était alors gou-