Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Monsieur, chacun désire être capitaine, même lorsqu’on est obligé de manger sa ration dans les dalots. — Je suppose que la première lieutenance est remplie suivant les désirs de Votre Honneur ?

— Ceci passe la plaisanterie, vaurien. Un homme de votre âge, et qui a votre expérience, ne peut ignorer que les grades s’obtiennent par les services.

— Ou la faveur… Je confesse mon erreur. Capitaine Ludlow, vous êtes un homme d’honneur, et vous ne tromperez pas un matelot qui met sa confiance dans votre parole.

— Matelot ou homme de terre, celui à qui je l’aurai donnée peut être sans crainte.

— Alors, Monsieur, je la demande. Permettez-moi d’entrer dans votre vaisseau, d’examiner mes futurs camarades, et de juger leurs caractères, de voir si le vaisseau convient à mon humeur, et de le quitter si je le trouve à propos.

— Cette impudence me fait presque perdre patience.

— La demande est raisonnable, comme je puis le prouver, répliqua gravement l’étranger. Par exemple, le capitaine Ludlow de la Coquette se lierait volontiers à jamais à une belle dame qui vient il y a peu d’instants de s’embarquer, et cependant il y en a mille qu’il pourrait avoir avec moins de difficulté.

— Ton effronterie devient de plus en plus grande ; en bien ! quand cela serait vrai ?

— Monsieur, un vaisseau est la maîtresse d’un marin ; plus encore lorsqu’il est sous un pavillon et que la guerre est déclarée : il peut dire qu’il l’a épousé, légalement ou non. Il devient les os de ses os, la chair de sa chair, jusqu’à ce que la mort les sépare l’un de l’autre. Pour un si long contrat on doit avoir la liberté du choix. Le marin n’a-t-il pas son goût ainsi qu’un amant ? Les pièces de quartier, la grande voûte, sont la taille et les épaules ; les agrès la chevelure ; la coupe et la forme des voiles sont les atours que fournit sa marchande de modes. Les canons ont toujours été appelés les dents, et la peinture c’est son teint, sa fraîcheur ! Vous voyez qu’il y a de quoi choisir, Monsieur ; et puisque cela ne m’est pas permis, je souhaite à Votre Honneur une heureuse croisière, et à la reine un meilleur serviteur.

— Eh bien ! maître Tiller, s’écria Ludlow en riant, vous vous fiez trop à ces chênes rabougris, si vous pensez que je n’aurai pas