Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/87

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indue et d’une manière si équivoque. Mais, comme tous ceux qui cèdent à l’impulsion du moment, lorsqu’elle fut seule, elle se repentit de sa précipitation, et elle se rappela mille questions qui auraient pu éclaircir les mystères de cette affaire. Il était trop tard, car elle avait entendu Ludlow prendre congé de François, et distingué le bruit de ses pas lorsqu’il traversait le petit bosquet au-dessous de ses fenêtres. François reparut à sa porte pour lui demander si elle avait encore quelques ordres à lui donner ; elle le congédia, et se crut seule pour le reste de la nuit ; car les dames de cette époque, en Amérique, n’avaient pas l’habitude d’exiger les soins de leurs femmes de chambre pour leur toilette ordinaire.

Il était encore de bonne heure, et l’entrevue qui venait d’avoir lieu ôtait à Alida toute envie de dormir. Elle plaça les lumières dans un coin éloigné de l’appartement, et s’approcha d’une fenêtre. La lune avait changé de position, et jetait une lueur différente sur les eaux ; le mugissement des vagues sur le rivage, l’air pesant qui venait de la mer, et l’ombre des arbres des montagnes étaient encore à peu près les mêmes. La Coquette était à l’ancre près du cap, comme auparavant, et les eaux près du Shrewsbury grillèrent encore pendant quelque temps au sud, jusqu’à ce que leur surface fût cachée par l’ombre d’un promontoire élevé et presque perpendiculaire.

La tranquillité était profonde, car, à l’exception de la famille qui occupait le domaine près de la ville, il n’y avait aucune habitation à quelques milles à la ronde. Cependant la solitude de ce lieu n’était troublée par la crainte d’aucun danger. On n’y conservait aucune tradition de violence ou de crimes. Le caractère paisible des colons qui habitaient l’intérieur du pays avait passé en proverbe ; leurs habitudes étaient simples ; d’un autre côté, on n’avait jamais vu sur l’Océan ces barbares qui rendaient alors quelques-unes des mers de l’ancien hémisphère aussi terribles qu’elles sont belles.

Malgré ce caractère de tranquillité connu et habituel et l’heure avancée, Alida n’était que depuis quelques minutes sur le balcon, lorsqu’elle entendit un bruit de rames ; ce bruit était mesuré, il avait lieu à quelque distance, mais il était trop familier pour être méconnu. Elle s’étonna de la précipitation de Ludlow, qui n’avait pas l’habitude de s’éloigner aussi rapidement des lieux où elle habitait, et elle s’avança sur le balcon afin d’apercevoir la cha-