Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/111

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— Je verrai alors si mon bras a conservé quelque force, répondit Antonio, jetant sur son pauvre vêtement usé un regard triste ; et qui néanmoins exprimait aussi une vanité secrète. Mes membres ont des cicatrices, mais peut-être les infidèles m’ont-ils laissé assez de sang dans les veines pour le peu dont j’ai besoin.

— En qui mets-tu ta confiance ?

— Dans saint Antoine à la pêche miraculeuse[1] !

— Prends place. Ah ! voilà quelqu’un qui ne désire pas être connu. Qui est-ce qui se présente avec ce faux visage ?

— Appelle-moi masque.

— Une jambe et un bras si bien faits prouvent que tu n’aurais pas dû cacher leur compagnon, le visage. Le bon plaisir de Votre Altesse est-il qu’une personne masquée soit admise aux jeux ?

— Sans aucun doute. Un masque est sacré à Venise. Nos excellentes lois permettent que celui qui désire se concentrer dans le secret de ses pensées et se dérober à la curiosités en cachant son visage, se promène dans nos rues et sur nos canaux avec la même sécurité que dans sa propre demeure. Tels sont les privilèges précieux de la liberté pour le citoyen d’un État généreux et magnanime !

L’approbation éclata de toute sparts, et on entendit murmurer de bouche en bouche qu’un jeune noble allait essayer ses forces dans la regatta pour plaire à quelque beauté capricieuse.

— Telle est la justice ! s’écria le héraut à voix haute, l’admiration l’emportant sans doute sur le respect. Heureux celui qui est né à Venise ! heureux le peuple dans les conseils duquel la sagesse et la honte président comme deux aimables sœurs ! En qui mets-tu ta confiance ?

— Dans mon propre bras.

— Ah ! cela est impie ! Une personne si présomptueuse ne peut prendre part à ces jeux privilégiés.

Cette exclamation du héraut fut suivie d’un mouvement général, comme celui qui annonce une émotion subite au milieu d’une multitude.

  1. Saint Antoine de Padoue est un des grands saints du calendrier maritime des Italiens, parce que entre autres miracles qu’on lui attribue est celui de la prédication qu’il adresse un jour aux poissons, qui l’écoutèrent avec attention, suivant la légende. Ce miracle, auquel il sera fait allusion tout à l’heure, a été le sujet de plusieurs tableaux, et ressemble beaucoup à une pêche miraculeuse.