Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/221

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vît qu’il avait fourni à ses adversaires un argument pour différer jusqu’à un temps indéfini de prononcer sur ses droits à la succession contestée, s’ils ne refusaient pas positivement de les reconnaître. Mais il avait déjà pris son parti sur cette chance. Il est probable toutefois que sa passion pour Violetta ne l’avait pas aveuglé sur le fait que les domaines qu’elle possédait sur le territoire romain seraient une indemnité qui ne serait pas tout à fait disproportionnée à cette perte. Il croyait qu’il pourrait probablement retourner dans son palais, sans avoir à craindre qu’on se portât à son égard à quelque acte de violence personnelle ; car la haute considération dont il jouissait dans son pays natal, et le grand crédit qu’il possédait à la cour de Rome, lui étaient des garanties qu’on ne lui ferait pas ouvertement un outrage. La principale raison qui avait fait différer de faire droit à sa réclamation était le désir qu’on avait de profiter de ses rapports intimes avec le cardinal favori ; et quoiqu’il n’eût jamais pu satisfaire entièrement les demandes toujours croissantes du Conseil à cet égard, il devait croire que le pouvoir du Vatican serait déployé pour le sauver de tout risque personnel imminent. Cependant il avait donné à la république des prétextes plausibles de sévérité ; et sa liberté lui était d’une telle importance en ce moment, qu’il craignait de tomber entre les mains des agents du sénat, comme une des plus grandes infortunes qui pussent l’accabler momentanément : il connaissait trop la politique tortueuse de ceux à qui il avait affaire pour ne pas prévoir qu’ils pouvaient l’arrêter, uniquement pour se faire un mérite spécial de lui rendre ensuite la liberté, dans des circonstances qui paraissaient si graves. L’ordre qu’il avait donné à Gino avait donc été de prendre le principal canal qui conduisait au pont.

Avant que la gondole qui bondissait à chaque coup de rames de l’équipage fût arrivée au milieu des navires, don Camillo eut le temps de recouvrer sa présence d’esprit et de former à la hâte quelques plans pour sa conduite future. Faisant signe aux gondoliers de cesser de ramer, il sortit du pavillon. Quoique la nuit fût bien avancée, des barques étaient encore en mouvement dans la ville et l’on entendait chanter sur les canaux : mais parmi les marins régnait le silence général motivé par leurs travaux journaliers et conforme à leurs habitudes.

— Gino, dit don Camillo en prenant un air calme, appelle le