Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/228

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pointe de son épée, sans pouvoir encore se décider à la remettre dans le fourreau, c’est la vérité ; mon arrivée en ces lieux est tout à fait accidentelle, et tu ne pouvais la prévoir. Mais pourquoi es-tu ici ?

— Pourquoi ceux-ci y sont-ils ? demanda le Bravo en montrant les sépulcres qui étaient à ses pieds. Nous naissons et nous mourons, c’est ce que nous savons tous ; mais quand et où, c’est un mystère que le temps seul peut révélera.

— Tu n’es pas homme à agir sans de bonnes raisons. Quoique ces Israélites n’aient pu prévoir le moment de leur visite au Lido, l’heure de la tienne n’a pas été choisie sans intention.

— Je suis ici, don Camillo Monforte, parce que mon âme a besoin d’espace. Il me faut l’air de la mer. Celui des canaux m’étouffe. Je ne puis respirer librement que sur ce banc de sable.

— Tu as encore en quelque autre raison, Jacopo ?

— Oui, Signore. — J’abhorre cette cité de crimes.

En parlant ainsi, il secoua la main dans la direction des dômes de Saint-Marc, et le son grave de sa voix semblait sortir des profondeurs de sa poitrine.

— c’est un langage extraordinaire pour un…

— Pour un bravo. Prononcez ce mot hardiment, signore ; il n’est pas étranger à mon oreille. Mais le stylet d’un bravo est honorable en comparaison du glaive de la prétendue justice dont Saint-Marc est armé. Le plus vil coupe-jarret de toute l’Italie, celui qui pour deux sequins enfoncera le poignard dans le cœur de son ami, est un homme franc et loyal, comparé à quelques hommes de cette ville, hommes de trahison et de nulle pitié.

— Je te comprends, Jacopo ; tu es enfin proscrit. La voix publique, quelque faible qu’elle soit dans cette ville, est parvenue aux oreilles de ceux qui t’employaient, et ils t’ont retiré leur protection.

Jacopo le regarda un instant avec une expression si équivoque que don Camillo releva insensiblement la pointe de son épée : mais quand il répondit, ce fut avec son calme habituel.

— Signore, dit-il, j’ai été jugé digne d’être employé par don Camillo Monforte.

— Je ne le nie pas. — Mais à présent que tu m’en rappelles l’occasion, une nouvelle clarté m’éclaire. Misérable ! c’est à ton manque de foi que je dois la perte de mon épouse.