Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furent rafraîchies par l’air de l’Adriatique, le Broglie commença à se remplir de ceux qui avaient le privilège de se promener sous ce passage voûté. De ce nombre était le duc de Sainte-Agathe. Quoique étranger aux lois de la République, sa naissance illustre et les droits qu’il réclamait si justement le faisaient admettre parmi les sénateurs dans leurs moments de récréation, et ils le voyaient avec plaisir partager avec eux cette frivole distinction. Il arriva au Broglie à l’heure ordinaire, avec son air de calme habituel ; car l’influence secrète dont il jouissant à Rome, et même le succès qu’avaient eu les plans du sénat, devaient sans doute, pensait-il, lui assurer l’impunité. La réflexion avait démontré à don Camillo que puisque le sénat connaissait ses plans, il l’aurait fait arrêter depuis longtemps, si telle eût été son intention ; et la même raison l’avait porté à croire que la meilleure manière d’éviter les suites qui pouvaient résulter pour lui de son aventure, c’était de montrer de la confiance dans ses moyens pour les braver. Quand donc il arriva, appuyé sur le bras d’un des premiers membres de l’ambassade de Rome, et avec un œil armé d’assurance, il fut accueilli comme à l’ordinaire par tous ceux qui le connaissaient, d’une manière convenable à son rang et à ses prétentions. C’était pourtant avec de nouvelles se sensations que don Camillo se promenait au milieu des patriciens de la république. Plus d’une fois, il crut découvrir dans les regards que jetaient sur lui à la dérobée ceux avec qui il conversait, des indiees qu’ils étaient instruits de l’entreprise dans laquelle il avait échoué. Plus d’une fois aussi, quand il s’attendait le moins à un pareil examen, on épiait ses traits comme pour y trouver quelque indice de ses intentions futures. Nul autre symptôme n’aurait pu faire découvrir qu’une héritière si importante avait été sur le point d’être perdue pour la république, ou qu’une épouse eût été enlevée à son mari. L’astuce habituelle du sénat et la conduite résolue mais prudente du jeune Napolitain dérobaient ces deux faits aux observations.

Ainsi se passa la journée à Venise ; personne, excepté ceux qui parlaient tout bas en secret, ne faisait allusion aux incidents de notre histoire.

À l’instant où le soleil se couchait, une gondole s’avança lentement jusqu’à la porte d’eau du palais ducal. Le gondolier en sortit, attacha sa barque, suivant l’usage, aux manches de l’esca-