Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/278

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— Ton artifice est inutile, Annina ; tu es allée dans la prison pour y chercher des objets prohibés que tu avais laissés longtemps sous la garde de ta cousine Gelsomina, fille du geôlier, qui ignorait ce qu’était ce dépôt, car tu en as imposé bien des fois avec succès à son innocence et à son ignorance du monde. Donna Violetta n’est pas une prisonnière ordinaire pour être claquemurée dans une prison.

— Santissima Madre di Dio !

Annina ne put exprimer sa surprise que par cette exclamation.

— Tu vois que tu ne saurais me tromper. Je suis si bien instruit de tes mouvements qu’il est impossible que tu me fasses prendre le change. Tu ne vas pas souvent voir ta cousine ; mais en arrivant sur les canaux le soir dont il s’agit…

De grands cris poussés sur l’eau interrompirent Don Camillo. Il leva les yeux, et vit une masse compacte de barques s’avancer vers la ville en faisant force de rames comme une seule gondole. Mille voix parlaient en même temps ; un cri lamentable général annonçait que cette multitude qui s’approchait était émue par un même sentiment. La singularité de ce spectacle, et le fait que sa gondole était précisément sur la route de cette flotte de plusieurs centaines de barques, lui firent oublier momentanément la jeune fille qu’il interrogeait.

— Que signifie ceci, Jacopo ? demanda-t-il à demi-voix au gondolier qui dirigeait sa barque.

— Ce sont des pêcheurs, Signore ; et, à la manière dont ils s’avancent vers les canaux, je suis porté à croire qu’il y aura parmi eux quelque émeute. Il y a régné beaucoup de mécontentement depuis le refus qu’a fait le doge d’accorder au fils de leur compagnon son congé du service des galères.

La curiosité avait porté les bateliers de don Camillo à s’arrêter un instant ; mais ils virent bientôt la nécessité de s’écarter pour livrer passage à cette masse flottante, les pêcheurs maniant leurs rames avec ce vigoureux tour de bras qu’on remarque si souvent parmi les rameurs italiens. Un cri menaçant, accompagné d’un ordre d’arrêter, avertit don Camillo de la nécessité de prendre la fuite ou d’obéir. Il choisit le dernier parti comme celui qui paraissait devoir le moins déranger ses projets.

— Qui êtes-vous ? demanda un homme qui semblait jouer le rôle de chef ; si vous êtes des hommes des lagunes et des chré-