Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/296

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douces d’un caractère mieux discipliné, il y a des occasions qui forment exception à cette règle. Le moment présent était un de ces incidents dans les chances de la vie, où il vaut toujours mieux agir que de rester dans l’inaction.

Donna Violetta avait à peine cessé de parler qu’elle était déjà sous les arcades du Broglie. Sa gouvernante était à son côté, plutôt par affection que pour suivre les avis du moine ou les conseils de sa propre raison. L’idée vague et romanesque d’aller se jeter aux pieds du doge, qui descendait d’une branche collatérale de sa propre maison, s’était présentée tout à coup à l’imagination de la jeune épouse lorsqu’elle avait pris la fuite ; mais dès qu’elles furent près du palais, les cris qui partaient de la cour leur firent connaître la situation des choses, et par conséquent l’impossibilité de pénétrer dans intérieur.

— Rentrons chez nous par les rues, mon enfant, dit donna Florinda en s’enveloppant de sa mantille avec toute la dignité d’une femme. Personne n’osera insulter des personnes de notre condition, et le sénat lui-même doit finir par respecter notre sexe.

— Et c’est vous qui parlez ainsi, Florinda ! Vous qui avez si souvent tremblé devant sa colère ! — Mais allez, si bon vous semble. Quant à moi, que m’importe le sénat ? appartiens maintenant tenant à don Camillo Monforte.

Donna Florinda n’avait nulle envie de contester ce point ; et comme le moment était arrivé où celle qui avait plus d’énergie devait régler les mouvements de l’autre, elle se soumit tranquillement au caractère décidé de donna Violetta. Celle-ci continua à suivre le portique, marchant toujours sous son ombre. En passant sous la porte qui donnait du côté de la mer, nos fugitives purent entrevoir ce qui se passait dans la cour. Cette vue accéléra leur marche, et elles volaient plutôt quelles ne couraient. En une minute elles furent sur le pont qui traverse le canal de Saint-Marc. Quelques marins, debout sur leurs felouques, regardaient de leur côté avec curiosité ; mais la vue de deux femmes effrayées, cherchant à fuir un attroupement de populace, n’avait rien en soi-même qui parut devoir attirer l’attention.

En ce moment une masse d’hommes serrés s’offrit à leurs yeux, venant du côté opposé, le long du quai. On voyait briller leurs armes au clair de la lune, et l’on entendait la marche mesurée des troupes disciplinées. Les Dalmates sortaient en corps de l’arsenal.