Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/350

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voir abréger la vie d’un homme ; mais dans ce procès j’ai hâte de voir arriver le jugement.

— Votre honorable impatience sera satisfaite, signor Soranzo ; car prévoyant l’urgence de cette affaire, mon collègue, le digne sénateur qui partage nos délicates fonctions, et nous-même, nous avons déjà donné les ordres nécessaires à ce sujet. L’heure est venue, et nous arriverons à temps dans la salle de l’inquisition pour remplir ce devoir.

Alors la conversation roula sur des objets d’un intérêt général. Ce tribunal extraordinaire et secret, qui était obligé de ne point avoir de lieu spécial pour ses assemblées, qui pouvait rendre ses décrets sur la Piazza ou dans le palais, au milieu des débauches des masques ou devant l’autel, dans des assemblées brillantes ou dans le domicile particulier de l’un de ses membres, avait, comme on peut le croire, beaucoup d’affaires sous sa juridiction. Comme le hasard de la naissance avait décidé de sa composition (et Dieu n’a pas rendu tous les hommes propres à remplir des fonctions si cruelles), il arrivait quelquefois, comme dans le cas présent, que deux des membres avaient à combattre les dispositions généreuses d’un collègue, avant que l’action de cette justice pût être exercée dans ses formes.

Il est digne de remarque que les gouvernements proclament plus de règles de justice et de vertu que n’en observe chacun de leurs membres en particulier. On ne doit pas en chercher la raison, puisque la nature a donné à tous les hommes la connaissance intime de ces principes qu’on n’abandonne jamais qu’influencé par des intérêts personnels. Nous louons la vertu que nous ne pouvons imiter. C’est ainsi que les États où l’opinion publique a le plus d’influence ont toujours la manière d’agir la plus pure. Il suit, comme une conséquence de cette proposition, qu’un gouvernement représentatif doit être aussi réel que possible ; car il tendra inévitablement à élever la morale publique. La condition d’un peuple dont les maximes et les mesures publiques sont au-dessous de son intégrité naturelle est misérable, et elle prouve non seulement qu’il n’est pas le maître de ses destinées, mais elle donne encore la preuve de cette vérité dangereuse, qu’un pouvoir collectif mine en général les qualités qui sont nécessaires à la vertu, et qui dans tous les temps ont bien de la peine à résister aux attaques de l’égoïsme. Une repré-