Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/387

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qu’il oublia momentanément la présence de l’inquisiteur, dont les regards eussent pu l’avertir que le sujet de la conversation commençait à devenir grave.

Le moine commença par des actions de grâces, car il n’était pas toujours facile dans cette ville de mystères de faire arriver la vérité jusqu’aux oreilles des grands. Les hommes les plus simples qui vivent sous un système de duplicité adaptent tous, à leur insu, quelque chose de ce système à leur propre usage. Le père Anselmo évita donc d’abord de parler sans ménagement des pratiques odieuses de l’État, et il ne fit qu’avec quelque réserve allusion à cette politique du sénat, qu’un homme de sa sainte profession et de son caractère franc et honnête aurait intrépidement condamnée en toute autre circonstance.

— Dans le rang élevé que vous occupez, souverain prince, dit le carme, vous pouvez ne pas savoir qu’un humble, mais laborieux artisan de cette ville, nommé Ricardo Frontoni, fut condamné il y a déjà longtemps comme ayant fraudé les revenus de la république : c’est un crime que Saint-Marc ne manque jamais de punir de tout son déplaisir ; car quand les hommes placent les biens de ce monde avant toute autre considération, ils se méprennent sur les motifs qui ont formé entre eux une union sociale.

— Tu parlais d’un certain Ricardo Frontoni, mon père ?

— Tel était son nom, Votre Altesse ; cet infortuné avait accordé sa confiance et son amitié à un homme qui, en prétendant être l’amant de sa fille, pouvait passer pour être instruit de tous ses secrets. Quand ce faux amant vit que des fraudes qu’il avait commises contre les douanes étaient sur le point d’être découvertes, il ourdit un tissu d’impostures qui le tira d’affaire et qui fit tomber le courroux du sénat sur son ami trop confiant. Ricardo fut condamné à rester dans les cachots jusqu’à ce qu’il révélât des faits qui n’avaient jamais existé.

— C’est un sort bien dur, si tout cela pouvait être prouvé.

— C’est le malheur du secret et de l’intrigue dans l’administration des intérêts communs, illustre doge…

— As-tu autre chose à dire de ce Ricardo ?

— Son histoire est courte, Signore, car à l’âge où la plupart des hommes s’occupent de leurs affaires avec le plus d’activité, il languissait en prison.

— Je me souviens d’avoir entendu parler de quelque accusa-