Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/389

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— Nous sommes pauvres et infortunés, Votre Altesse, et nous servons l’État pour gagner notre pain.

— Vous servez un noble maître, mon enfant. — Et que sais-tu de ce Bravo ?

— Ceux qui l’appellent ainsi, mon souverain, ne connaissent pas son cœur. Il n’y a pas dans Venise un homme plus fidèle à ses amis, plus esclave de sa parole et plus dévot envers les saints que Jacopo Frontoni.

— C’est un rôle que l’art peut apprendre à jouer, même à un Bravo. — Mais nous perdons le temps. Qu’ont de commun ces deux Frontoni ?

— C’est le père et le fils, Votre Altesse. Quand Jacopo fut d’un âge à bien comprendre les malheurs de sa famille, il fatigua les sénateurs de supplications en faveur de son père, et enfin ils ordonnèrent que la porte du cachot de celui-ci fût ouverte secrètement à un fils si pieux. Je sais fort bien, grand prince, que ceux qui gouvernent ne peuvent avoir des yeux pour tout voir, sans quoi une telle injustice n’aurait jamais pu avoir lieu. Mais il est certain que Ricardo passa des années en prison, l’hiver dans un cachot froid et humide, l’été dans un cachot brûlant, avant que son innocence fût reconnue. Alors, comme par dédommagement de souffrances si peu méritées, il eut la permission de voir Jacopo.

— Et d’après quelles considérations, jeune fille ?

— N’était-ce point par compassion, Altesse ? On lui promit aussi qu’avec le temps les services, qu’il rendrait rachèteraient la liberté de son père. Les patriciens ne furent que tardivement convaincus, et ils firent leurs conditions avec Jacopo, qui les accepta, quelque dures qu’elles fussent, pour que son père pût respirer un air pur avant de mourir.

— Tu parles en énigmes.

— Je ne suis pas habituée à parler en présence d’un prince, Votre Altesse, ni sur de pareils sujets. Mais ce que je sais, c’est que pendant trois longues années Jacopo a été admis dans le cachot de son père ; et il fallait bien que les autorités eussent permis ses visites, sans quoi mon père ne les aurait pas souffertes. C’était moi qui l’accompagnais quand il remplissant ce devoir de piété filiale ; et je prends à témoin la bienheureuse vierge Marie et tous les saints que…