Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hospitalier. Un des principaux bâtiments de la montagne était particulièrement consacré au bien-être de l’abbé et des voyageurs qu’il était de son devoir et plus souvent encore de son plaisir de recevoir. Là on voyait quelques signes de la richesse immense du monastère, bien qu’ils fussent adoucis par les formes, et restreints par les préjugés. Cependant on n’y voyait rien qui annonçât le renoncement à soi-même, et cette mortification qu’on croit inséparable de la cellule. Les appartements étaient lambrissés en bois de chêne ; des emblèmes de la foi religieuse en matériaux précieux abondaient partout. Il n’y manquait pas non plus de velours et autres étoffes, de couleurs modestes, quoique d’une grande valeur. Le père Siegfried conduisit le paysan dans un de ces appartements les plus soignés. C’était le cabinet de l’abbé, qui, ayant quitté ses vêtements dans lesquels il avait si récemment paru au chœur, et s’étant dépouillé de toute la pompe ecclésiastique dans laquelle il s’était montré au peuple, prenait ses aises avec toute l’indolence d’un étudiant et en quelque sorte avec la négligence d’un libertin.

— Voilà le jeune homme dont je vous ai parlé, saint abbé, dit le père Siegfried, en faisant signe à son compagnon d’avancer.

Boniface mit de côté un livre couvert en parchemin et colorié, qui venait d’être imprimé récemment, et frotta ses yeux comme un homme qui est subitement tiré d’un rêve.

— En vérité, père Siegfried, ces coquins de Leipzig ont fait des merveilles dans leur art ! Je ne puis pas trouver un mot hors de la droite ligne ni une pensée déguisée. Dieu sait où cet excès de connaissances humaines, jusqu’ici confiées aux savants, peut nous conduire ! La charge de bibliothécaire ne conservera pas longtemps ses avantages, ni même sa réputation.

— N’avons-nous pas des preuves de ce fléau dans l’irréligion et dans l’insubordination de l’époque ?

— Il vaudrait mieux, pour le salut de leur âme et leur repos dans ce monde, que moins de personnes eussent le don de penser, dans ce siècle de trouble. — Tu t’appelles Jean, mon fils ?

— Gottlob, révérend abbé, avec votre permission et la faveur de l’Église.

— C’est un saint nom, et j’espère que tu n’oublies pas d’obéir au devoir qu’il te rappelle à chaque heure[1].

  1. Gottlob signifie en français : Dieu soit loué !