Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/214

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tous les grands changements soit religieux, soit politiques, l’esprit de parti attache une grande importance à des choses matérielles, qui par habitude et par convention finissent par être considérées comme les gages d’une opinion. C’est ainsi que, lorsque les révolutions sont subites et violentes, beaucoup prenaient le symbole pour la chose elle-même ; c’est ainsi que des hommes hasardent leur vie sur un champ de bataille pour soutenir un vain nom ou une disposition de couleurs particulière sur un drapeau, ou encore quelques termes insignifiants qui n’ont jamais été bien expliqués, et cela longtemps après que le mérite réel de la controverse a été perdu par la cupidité et le manque de foi de ceux auxquels le bien publie est confié ; c’est ainsi qu’en Amérique, où tout changement fut gradué et certain, l’oubli de ces bagatelles donna au pays une réputation d’inconstance, parce que, en attachant tant de prix à la réalité, nous négligeons les signes extérieurs, signes qui peuvent exciter l’imagination dans d’autres contrées, mais qui n’ont aucune influence chez nous. La réformation a fait de bonne heure de grands changements dans les formules de l’église romaine. La croix cesse d’être en faveur parmi les protestants, et après trois siècles on commence à admettre que ce symbole sacré est un ornement plus convenable pour les doigts qui nous montrent silencieusement le ciel au faîte de nos églises, que n’a jamais pu l’être un oiseau de basse-cour[1]. Si Ulrike avait été plus exercée dans ces sortes de distinctions, ou si son esprit avait été moins occupé de ses tristes réflexions, elle aurait pu penser que le mouvement de main de l’ermite, dans le signe auquel nous faisons allusion, trahissait une indécision et un doute, qui prouvait également ou une personne novice dans les pratiques de cette nature, ou un homme qui est sur le point d’abandonner une règle depuis longtemps établie.

Quel que fût ce signe, Ulrike n’y vit rien d’extraordinaire, et elle prit en silence le siége que l’anachorète lui indiquait, tandis qu’il se plaçait lui-même sur un autre.

Ils se regardèrent de nouveau avec tristesse. Ils étaient assis loin l’un de l’autre, et la torche jetait une vive clarté sur chacun d’eux.

  1. L’auteur cite une expression du poëte Wordsworth, et fait allusion à l’usage de placer un coq au faîte des clochers.