Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/254

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sainte, et béni par le Seigneur, il me reste un devoir solennel, impérieux à remplir.

— Boniface, prends garde ! interrompit le comte de Leiningen ; tu n’as pas affaire à présent à des bourgmestres et à des femmes en larmes.

— Au nom du Dieu à qui cet autel est consacré, reprit l’abbé impassible, par son intérêt sacré…

— Prêtre, prends garde ! répéta Emich, pâle de colère, et éprouvant en même temps une terreur qu’il ne pouvait expliquer.

— Comme son ministre indigne, mais nécessaire, en vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par le chef de l’Église, obligé d’en faire usage, je prononce…

— Où êtes-vous, compagnons d’Hartenbourg ? nargue des sottes malédictions de ce moine insensé ! Vous n’êtes pas des femmes timides pour avoir besoin de la bénédiction d’un moine !

La voix d’Emich fut étouffée, ainsi que celle de l’abbé, par le bruit qui retentit de tous côtés dans la chapelle. Un long instrument qu’un homme, placé dans l’une des ailes à quelques pas derrière le trône de Boniface, porta tout à coup à sa bouche, fit d’abord entendre des accents sauvages et plaintifs qui remplirent tout l’édifice.

À ce signal, donné par le cornet en bois de cerisier de Gottlob, qui sortait rarement sans cette marque distinctive de sa profession, succédèrent aussitôt de grandes acclamations poussées en même temps par tous les gens de la suite du comte ; puis une foule de sons semblables, produits par divers instruments qui jusqu’alors étaient restés muets, se firent entendre. Nous laissons à l’imagination du lecteur le soin de se figurer l’effet de cette musique retentissante, répétée par les échos de la voûte qu’illuminaient les flammes de plus en plus actives qui jaillissaient du dehors, et la fière impassibilité de l’abbé, qui, en dépit du vacarme, acheva sa malédiction. Quand Boniface eut prononcé la dernière parole d’anathème, il jeta autour de lui un sombre regard.

Trop attaché à la terre, dans ses goûts et dans ses mœurs, pour se livrer à des espérances d’une nature purement spirituelle, il reconnut que son ennemi avait été trop loin pour reculer. Faisant donc un signe à ses frères, il descendit lentement de son trône et sortit du chœur avec dignité. Les moines se retirèrent après lui en silence et dans leur ordre accoutumé. Emich les suivait d’un