Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’aliments substantiels ont été digérés par de saints bénédictins ? Allons, avancez, comme un brave soldat, et faites-nous part de vos sages réflexions.

— Il me semble que l’ouvrage avance, seigneur Emich, dit l’obéissant bourgmestre ; mes fidèles bourgeois n’y vont pas de main morte, et voilà un forgeron dont le marteau frappe sur un ange comme si c’était une barre de fer fondu. Chaque coup laisse une marque qu’aucun ciseau ne pourra réparer !

— Laissez-les s’amuser. Je suis sûr que le souvenir de quelque rude pénitence redouble leur ardeur. Bon ! voilà qu’ils font un monceau de tous les confessionnaux, et ils n’auront plus que le feu à y mettre ! C’est ce qui s’appelle attaquer l’ennemi dans sa citadelle ! — Mais, dites-moi, Heinrich, est-ce que la bonne Ulrike est dans l’habitude de vous accompagner dans vos expéditions contre l’Église ? Grand Dieu ! si Hermengarde était de cette humeur, nous n’aurions pas d’espoir de salut dans notre château.

— Vous faites injure à ma femme, seigneur comte ; Ulrike était ici pour prier, et non pour nous encourager.

— Vous auriez pu vous épargner cette explication, car jamais soldat n’eut besoin d’un pareil encouragement. — Étiez-vous dans la confidence de la visite ? voyons, dites, digne bourgmestre.

— Mais, pour ne rien vous cacher, seigneur Emich, je croyais Ulrike ailleurs.

— Par les mages ! — dans son lit ?

— Non, occupée à prier, mais dans un autre lieu. — Nous lui faisons trop d’honneur, noble Emich, en parlant d’elle, lorsque des sujets plus importants réclament toutes nos pensées dans un pareil moment.

— Comment donc ? rien de ce qui vous concerne ne saurait être indifférent à vos amis, répondit le baron, qui ne songeait pas sans inquiétude, même au milieu de cette scène de tumulte, à cette visite d’Ulrike aux bénédictins à une pareille heure. Vous êtes heureux en ménage, maître Heinrich, et tous ceux qui connaissent votre femme l’honorent et la respectent.

Le bourgmestre était trop convaincu de la supériorité de son mérite pour être accessible à la jalousie ; et d’ailleurs il eût été impossible à l’homme même le plus enclin à cette affreuse passion de vivre si longtemps dans une douce familiarité avec l’âme pure et ingénue d’Ulrike, sans que tant de vertus lui inspirassent une