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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/276

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paraissaient partager l’inquiétude et l’indécision de leurs parents ; car, sentant qu’on n’avait pas le temps de s’occuper deux, et qu’ils pouvaient jouir de toute leur liberté, ils couraient partout et se faufilaient dans tous les groupes, cherchant à saisir à la dérobée quelques mots qui pussent éclairer leurs intelligences naissantes. Les boutiques étaient ouvertes comme à l’ordinaire ; mais on s’arrêtait aux portes pour discourir, sans que personne entrât ; et la plupart des artisans se perdaient en conjectures sur les conséquences de la téméraire entreprise de leurs supérieurs.

Pendant ce temps, le conseil de la commune était assemblé. Tous ceux qui avaient part à l’autorité municipale s’y trouvaient réunis, et on y avait admis quelques artisans, à cause des services qu’ils avaient rendus lors de l’attaque de l’abbaye. Plusieurs des femmes des bourgeois avaient pénétré dans les salles voisines de celle où l’on délibérait ; car l’influence domestique était grande dans cette réunion de bons bourgeois, tous épris de leurs chastes moitiés. Nous reprendrons notre récit dans l’intérieur de l’édifice municipal.

Le bourgmestre et plusieurs autres chefs étaient livrés à de vagues appréhensions, par suite de leur hasardeuse entreprise. Quelques citoyens, plus intrépides, montraient l’audace que donne le succès ; d’autres n’éprouvaient des doutes que parce que la destruction de la communauté était un trop grand bien pour qu’il ne s’y mêlât pas quelque mal ; le plus grand nombre attendaient les événements pour se décider ; quelques-uns branlaient la tête de manière à faire entendre qu’ils entrevoyaient des conséquences qui échappaient au vulgaire. Cette dernière classe était plus remarquable par ses prétentions que par le nombre, et elle aurait montré le même empressement à exagérer les avantages de la mesure qui avait été prise, si dans le moment l’opinion publique avait paru l’approuver. Mais cette opinion subissait déjà une réaction, parce que l’avenir ne se présentait plus à l’imagination sous des couleurs aussi favorables que celles dont on s’était plu d’avance à le revêtir. Heinrich lui-même, qui ne manquait de courage ni au moral ni au physique, était inquiet de sa victoire, quoique, si on lui en eût demandé raison, il eût eu peine à l’indiquer. Ce qui contribuait à augmenter son anxiété, c’était la persuasion où paraissaient être la plupart de ses collègues, que c’était sur lui que tomberait très-probablement le poids du