Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/329

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cet infortuné Johan prouve rien contre la nature de la doctrine, car s’il y avait eu moins d’entêtement dans quelques-unes de ses opinions, il eût échappé à sa triste destinée.

— Le martyre est-il un malheur pour un chrétien ? Songez à nos prédécesseurs et à leur mort.

— Si Johan avait songé davantage à leur destinée, la sienne eût été différente.

— Révérend abbé, Johan a cessé depuis longtemps d’être une énigme pour moi ; je ne nie pas son utilité parmi les paysans et les dévots ; mais celui que vous avez nommé en dernier lieu…

Ici, Boniface appuya sa joue sur sa main, et parla comme un homme qui cherche à deviner quelque chose.

— Celui que vous avez nommé en dernier lieu, le sincère, le sage, le simple Arnolph, je n’ai pas encore pu le comprendre ! Cet homme paraît aussi satisfait dans sa cellule que dans sa stalle. Il se trouve non moins honoré par son état que par ce fatigant pèlerinage ; dans la prospérité ou l’infortune, il est toujours en paix avec lui et avec les autres. C’est un homme enfin qu’aucun de mes raisonnements n’a pu approfondir. Il n’est point ambitieux, car il a refusé trois fois la mitre ! Il n’est point soutenu par des illusions et des visions extravagantes, comme ce malheureux Johan ; ne négligeant aucune des pratiques même les plus sévères de sa profession, il les observe toutes paisiblement et avec une satisfaction apparente. Il est instruit sans être possédé du désir de la discussion. Doux avec une fermeté inébranlable ; pardonnant les injures avec une facilité qui, sans une constance qui n’a jamais cédé à aucune influence de position, d’événements ou d’espérances, pourrait le faire accuser de faiblesse ; en vérité, cet homme est une énigme pour moi !

Malgré son expérience, son esprit et sa connaissance des hommes, Boniface ne s’apercevait pas qu’il se faisait tort à lui-même, en exprimant son inhabileté à deviner les motifs du prieur. Cette énigme ne paraissait pas non plus parfaitement intelligible pour son compagnon, qui écoutait avec curiosité le portrait que l’abbé traçait d’un de ses frères, à peu près comme nous écoutons une histoire inexplicable et merveilleuse.

— J’ai beaucoup entendu parler d’Arnolph, dit-il, cependant je n’en avais rien entendu dire d’aussi extraordinaire. — Tout le monde semble l’aimer !