Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 12, 1839.djvu/93

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ment leur sang-froid, qui, en général, était moins imposant que celui qui rendait l’abbé si remarquable. Albrecht et M. Latouche trahirent de même, chacun à leur manière, l’influence du banquet : la conversation devint animée, bruyante et querelleuse.

Emich d’Hartenbourg ne ressemblait en rien à ses compagnons. Il avait mangé de manière à faire honneur à son estomac, et bu de même ; mais jusqu’à ce moment le plus pénétrant observateur eût en vain cherché en lui un signe d’ivresse. Le bleu de plomb de ses grands yeux devint plus brillant, il est vrai, mais Emich commandait encore à l’expression de ses regards, qui conservaient leur politesse affectueuse.

— Vous avez fait peu d’honneur à mon pauvre festin, révérend abbé, s’écria-t-il en observant que le prélat suivait de l’œil les débris d’un succulent sanglier sauvage qu’un valet emportait. Les coquins ont-ils enlevé le plat trop tôt, par saint Benoît ! mais les montagnes de mes domaines peuvent encore fournir des animaux de cette espèce. Holà, hé !

— Je te remercie, noble Emich ! l’épieu de ton forestier a fait un bon choix. Jamais gibier plus savoureux n’a orné une table.

— Il tomba sous les coups du jeune Berchthold, l’orphelin du bourgeois de Duerckheim. C’est un hardi chasseur de la forêt, et je ne doute pas qu’il ne soit un jour aussi brave dans le combat. Tu dois le connaître, mon père, car il visite souvent les confessionnaux de l’abbaye.

— Il est mieux connu du prieur que d’un homme aussi occupé d’affaires mondaines que je le suis. Le jeune homme est-il ici ? je le remercierais volontiers.

— Entendez-vous, varlet ? dites à mon premier forestier de se présenter ici ; le révérend et noble abbé de Limbourg lui accorde cette grâce.

— Ne dis-tu pas que le jeune homme est de Duerckheim ?

— De cette bonne ville, révérend abbé, et quoique des malheurs l’aient réduit au rang de forestier, c’est un garçon utile à la chasse, et dont la conversation n’est pas désagréable dans les moments de repos.

— Tu réclames de pénibles services de ces pauvres citoyens, cousin d’Hartenbourg. Si on les laissait librement choisir entre les anciens devoirs qu’ils rendaient à notre couvent, et cette vie