Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/154

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tie de l’amertume qui oppressait son cœur vous n’êtes pas plus chérie, plus adorée de vos parents que ne l’était mon excellente mère !

— Sigismond, vos regards sont effrayants ; que voulez-vous dire ?

— Neufchâtel et d’autres villes, ainsi que Berne, ont leurs privilèges ! Ma mère était la fille unique du bourreau de la première de ces villes. Vous voyez, Adelheid, que j’ai des quartiers de noblesse comme un autre. Dieu soit loué ! nous ne sommes pas condamnés légalement à exécuter les criminels d’aucun autre pays que le nôtre !

La sauvage amertume avec laquelle ces paroles furent prononcées, et le regard qui les accompagna, firent vibrer tous les nerfs d’Adelheid.

— Tant d’honneurs, ajouta-t-il, doivent être dignement soutenus. Nous sommes riches pour des gens dont les goûts sont humbles, et nous avons moyen de vivre sans toucher aux revenus de notre charge. Vous voyez que je me vante encore de nos longs services ! Ma mère eut donc la charitable intention de délivrer au moins un de ses enfants du stigmate empreint au front des membres de notre famille, et la naissance d’un second fils la mit à même d’accomplir ce dessein sans attirer les soupçons. Je fus élevé loin de la maison paternelle, et, pendant bien des années, dans l’ignorance de ma naissance. Plus tard, malgré la mort précoce de mon frère, on m’envoya chercher de l’avancement au service de la maison d’Autriche, sous un nom supposé. Je ne vous parlerai pas des angoisses que j’éprouvai lorsque la vérité me fut révélée ! De toutes les misères infligées par la société, il n’y en a pas d’aussi injuste que celle qui frappe notre famille ; et de toutes les faveurs aucune ne peut être moins justifiée que les priviléges accordés au hasard de la naissance.

— Et cependant nous sommes habitués à honorer ceux qui descendent d’une ancienne famille, et à voir une partie de la gloire des ancêtres rejaillir jusque sur le plus éloigné de leurs descendants.

— Plus il est éloigné, plus le respect du monde est grand. Quelle meilleure preuve pouvons-nous avoir de l’inconséquence du monde ? Ainsi, le fils aîné d’un héros, celui dont la lignée est certaine, qui est le portrait vivant de son père, qui a profité de ses conseils, et qu’on peut supposer au moins avoir acquis une