Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/217

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dans ce moment, ce gouvernement n’existe que pour votre bonheur ; c’est pour cela qu’il s’aime, qu’il doit s’aimer, et que son premier devoir est de protéger lui et ses officiers en toute occasion, lors même qu’une apparente injustice aurait été commise par hasard. Sais-tu lire ?

— Assez mal, très-honorable bailli, reprit Maso ; beaucoup de gens parcourent un livre plus facilement que moi.

— Faites bien attention qu’à présent il s’agit d’un bon livre ; car, pour un mauvais, j’engage le peuple à s’en éloigner comme d’un farouche sanglier ! Le mal est d’instruire les ignorants ! Il n’y a pas une méthode plus certaine de corrompre une société et de l’entraîner aux plus coupables excès que d’éclairer l’ignorance. L’homme instruit peut supporter le savoir, car une nourriture succulente ne pèse pas à l’estomac qui y est habitué, tandis qu’elle sert d’ellébore à celui qui n’a connu jusqu’alors que de grossiers aliments. L’éducation est une arme, puisque la science est une puissance, et l’homme ignorant n’est qu’un enfant. Ainsi, lui donner de l’instruction, c’est absolument comme si vous mettiez un mousquet chargé entre les mains d’un enfant. Que voulez-vous que fasse du savoir un homme ignorant ? Il est aussi porté à s’en servir à son plus grand détriment qu’à son propre avantage. La science est une chose très-scabreuse. Festus nous apprend qu’elle a fait tourner la tête au sage et prudent Paul lui-même ; quel effet ne peut-elle donc pas produire sur vous, franchement ignoramus ? Comment vous appelez-vous, prisonnier ?

— Tommaso Sancti ; mes amis me nomment quelquefois San Tommaso ; mes ennemis, Il Maledetto ; et de simples connaissances, Maso.

— Tu as une formidable liste de surnoms, signalement certain d’un drôle ; tu as avoué que tu savais lire.

— Non, signer bailli ; je ne voudrais pas passer pour l’avoir dit.

— Par la foi de Calvin ! tu l’as confessé devant cette honorable assemblée. Veux-tu nier tes paroles, coquin ! à la face de la justice ? Tu sais lire, — tu le portes sur ta figure ; et je jurerais presque que tu sais te servir de la plume, si tu voulais parler franchement. Je ne sais, signor Grimaldi, si vous avez de ces sortes d’affaires de l’autre côté des Alpes ; mais, pour nous, nos plus grands embarras viennent de ces fripons un peu instruits, qui, après avoir ramassé çà et là quelques connaissances, s’en