Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/241

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nir ; mais si un homme est condamné par l’opinion, sa seule ressource est d’en appeler à la justice divine ; il n’y a plus ici de pitié pour lui. C’est une vérité dont mon expérience, comme fonctionnaire public, ne me permet pas de douter.

— J’espère cependant que ce n’est pas la doctrine légale de notre ancien canton, répondit le jeune homme, qui se contenait mais non sans efforts.

— Elle en est aussi loin que Bâle l’est de Coire : nous nous gardons bien d’émettre de tels dogmes. Je défie de découvrir dans le monde entier une nation qui possède une plus bette collection de maximes que la nôtre, et nous tâchons même d’accorder la pratique avec la théorie, toutes les fois que nous le pouvons en sûreté. Pour tous ces détails Berne est un parfait modèle de société, et on n’y est pas plus sujet à y faire le contraire de ce qu’on dit que dans tout autre gouvernement que vous pourriez rencontrer. Je vous parle à présent, jeune homme, avec tout l’abandon qui suit une fête ; le plaisir, comme vous savez, dispose à la confiance et à la franchise. Nous agissons en public avec une entière bonne foi, une parfaite égalité devant la loi, sauf les droits des cités, et nous jurons d’être toujours guidés par la sainte, la divine justice ; voilà la théorie : mais, bon Dieu si vous voulez connaître la réalité, allez devant le conseil ou les magistrats du canton, et vous serez témoin d’une sagesse, d’une fine pénétration dans l’art de la chicane, qui ferait honneur à Salomon même !

— Malgré cela les préjugés gouvernent le monde.

— Comment pourrait-il en être autrement ? Un homme peut-il cesser d’être homme ? ne suivra-t-il pas toujours le poids qui l’entraîne ? L’arbre ne croît-il pas du côté où penchent ses branches ? J’adore la justice, herr Sigismond, comme un bailli doit le faire ; et cependant, en réfléchissant bien, je suis forcé d’avouer qu’il y a en moi préjugé et partialité. Tout à l’heure cette jeune fille, la jolie Christine, a perdu quelques-unes de ses grâces à mes yeux, comme aux vôtres sans doute, quand elle a été connue pour l’enfant de Balthazar. Elle est belle, modeste, ses manières sont remplies d’attraits mais il y a quelque chose que je ne puis expliquer, que je ne puis dire : — un je ne sais quoi tant soit peu infernal, une teinte… un coloris… qui m’a démontré son origine au moment où j’apprenais le nom de son père… N’avez-vous pas éprouvé la même sensation ?