Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/247

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ment absorbées par le tumulte et l’intensité de leurs pensées.

— Nous savions que Sigismoud avait eu le bonheur de vous être utile, observa enfin Marguerite, qui déjà s’adressait à sa jeune compagne avec l’aisance que motivait la différence d’âge, plutôt qu’avec la respectueuse déférence qu’Adelheid avait l’habitude de rencontrer dans tous ceux qui lui étaient inférieurs ; il nous en a parlé, mais avec une modeste réserve.

— Il avait le droit de parler avec franchise à ses parents. Sans son secours, mon père n’aurait plus d’enfant ; sans son courage, je serais orpheline. Deux fois il s’est placé entre nous et la mort.

— J’en ai entendu dire quelque chose, répondit Marguerite, attachant encore son regard perçant sur l’expressive figure d’Adelheid, qui se colorait et s’animait toutes les fois qu’elle faisait allusion à la bravoure et au dévouement de celui qu’elle aimait en secret. Quant à ce que vous venez de dire de l’origine de ce pauvre enfant, de cruelles circonstances s’opposent encore à nos désirs. Si Sigismond ne vous a pas caché sa naissance, il vous a sans doute dit aussi de quelle manière il passe dans le monde pour ce qu’il n’est pas.

— Je crois qu’il ne m’a rien caché de ce qu’il savait, de ce qu’il était convenable de m’apprendre, répondit Adelheid, baissant les yeux sous le regard observateur de Marguerite ; il a parlé librement et…

— Il vous aurait dit…

— Il a parlé honorablement, et comme il convient à un soldat, continua Adelheid avec fermeté.

— Il a bien fait ! Ceci, au moins, décharge mon cœur d’un fardeau. Dieu nous a condamnés à un destin sévère, mais j’aurais été affligée que mon fils eût manqué de principes dans la circonstance de la vie qui en réclame le plus. Vous semblez étonnée, Madame !

— Oui, de tels sentiments, dans une position semblable à la vôtre, me surprennent autant qu’ils m’enchantent. S’il existe une chose qui puisse excuser quelque relâchement dans la manière d’envisager les liens ordinaires de la vie, c’est sans doute d’être en butte, sans l’avoir mérité, aux mépris et aux injustices du monde, et cependant là où l’on pouvait s’attendre à trouver quelque irritation contre la fortune, je rencontre des sentiments qui honoreraient un trône !