Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/280

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la terre que dans ceux qui leur sont inférieurs ; les motifs des inquiétudes de Pierre peuvent être mieux, compris du lecteur qu’ils ne l’étaient probablement de lui-même, malgré la longue et pénible expérience qui suppléait à la théorie dans ce guide fidèle.

À l’heure du danger, les hommes sont rarement prodigues de paroles. Le faible se renferme en lui-même, abandonnant toutes ses facultés au pouvoir d’une imagination troublée, qui augmente les motifs d’alarme, et diminue les chances de salut ; tandis que l’âme courageuse, recueillie dans sa propre force, rallie et rassemble toutes ses puissances pour le moment de l’épreuve. Telles furent dans cette circonstance les sensations diverses de ceux qui suivaient Pierre. Un silence général et profond régna dans toute la troupe : chacun considérait sa situation sous les couleurs que lui prêtaient ses habitudes et son caractère. Les hommes, sans aucune exception, étaient graves, et remplis d’ardeur dans leurs efforts pour faire avancer les mules ; Adelheid avait pâli, mais elle était calme, soutenue par la simple fermeté de son âme ; Christine était faible et tremblante, tout en étant un peu rassurée par la présence de Sigismond et la confiance qu’il lui inspirait ; les femmes de l’héritière de Willading avaient couvert leurs têtes, et suivaient leur maîtresse avec cette foi aveugle dans leurs supérieurs, qui tient quelquefois lieu de courage aux personnes de cette classe.

Dix minutes suffirent pour changer entièrement l’aspect des objets. L’élément glacé ne pouvait pas s’attacher aux flancs ferrugineux et perpendiculaires des montagnes, mais les vallons, les ravins, et les vallées devinrent aussi blancs que la pointe du Vélan. Pierre conservait dans sa démarche silencieuse et rapide une contenance qui laissait quelques lueurs d’espérance à ceux qui s’étaient entièrement confiés à son intelligence et à sa fidélité. Ils désiraient se persuader que cette neige si subite était un de ces événements ordinaires auxquels on doit s’attendre sur le sommet des Alpes, à cette époque de l’année, et qui ne sont que des symptômes de la rigueur bien connue de l’hiver qui s’approche. Le guide, de son côté, ne paraissait pas disposé à perdre le temps en explications, et comme sa secrète impatience s’était communiquée à toute la troupe, il n’avait plus à se plaindre de leur lenteur à le suivre. Sigismond se tenait près d’Adelheid et de sa sœur, ayant soin d’empêcher leurs mules de se ralentir, et d’autres hommes remplissaient le même office auprès des femmes d’Adel-