Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les obstacles même qu’il rencontre, peut à peine comprendre les privations et la gêne que ressent celui pour qui tout est si nouveau et si pénible. Mais dans le patron du Winkelried, une naturelle indifférence pour les souffrances des autres, et le plus étroit égoïsme, étaient venus corroborer les opinions inspirées par une vie de fatigues et de dangers. Il considérait les passagers vulgaires comme la cargaison la plus incommode ; elle lui rapportait, il est vrai, un peu plus que le même poids de matières inanimées, mais elle avait la désagréable faculté d’exprimer une volonté, et de changer de place. Malgré la jouissance qu’il paraissait prendre à effrayer ainsi ceux qui l’entouraient, l’adroit batelier faisait une silencieuse exception en faveur de l’Italien, qui s’est fait connaître lui-même au lecteur sous le nom de Maledetto ou le maudit. Ce formidable personnage avait employé un procédé très-simple et très-paisible pour se mettre à l’abri des effets de la tyrannie de Baptiste : au lieu d’être intimidé par ses farouches regards, de céder à ses grossières remontrances, il choisit le moment où il se livrait à la plus violente colère, où les malédictions et les menaces s’échappaient en torrents de ses lèvres, pour venir se placer tranquillement à l’endroit même dont Baptiste défendait l’approche ; il s’y établit avec un calme et un maintien qui pouvaient être également attribués à une extrême simplicité ou à un inexprimable mépris. C’est ainsi du moins que raisonnèrent les spectateurs ; quelques-uns pensèrent que l’étranger cherchait à sortir de tout embarras en bravant ainsi la furie du patron, et d’autres supposèrent charitablement qu’il ne savait pas ce qu’il faisait : mais Baptiste fut d’un avis différent. Il lut dans le regard assuré et dans la ferme contenance de son passager un profond dédain pour ses exigences, ses ruses et ses menaces, qu’il évita de lutter avec un tel homme, par le même sentiment qui portait les timides voyageurs à ne rien lui contester à lui-même. De ce moment, il Maledetto ou Maso ainsi qu’il était appelé même par Baptiste, qui voulait paraître ne pas ignorer entièrement ce qui le concernait, fut aussi maître de ses mouvements que s’il avait été le personnage le plus honorable de la barque ; mais il n’abusait pas de ses avantages, et quittant rarement le poste qui lui était assigné près de sa valise, il semblait satisfait de rester dans une insouciante indolence, et, comme ses compagnons, il sommeillait de temps en temps.

Mais la scène avait tout à fait changé de face. Le patron,