Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/57

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trant pouvait lire dans toute sa personne l’expression d’un pénible embarras. La prompte et inattendue intervention de Maso la dispensa de répondre.

— L’espoir est le dernier ami qui nous abandonne, dit le marin, fort heureusement pour plusieurs des membres de cette compagnie, même pour vous, Pippo ; car, si j’en juge par l’apparence, les campagnes de la Souabe n’ont pas fourni un riche butin.

— Les moissons que l’esprit recueille sont dans les mains de la Providence comme celles des champs, répondit le jongleur, qui sentit le sarcasme avec toute l’amertume que la vérité pouvait y ajouter, puisque, il faut le dire pour mettre le lecteur au courant de sa situation, il était redevable de sa traversée du Léman à un accès extraordinaire de générosité dans Baptiste. — Le même vignoble qui aura versé une liqueur aussi précieuse que le diamant, sera stérile l’année d’après. Aujourd’hui vous entendez le fermier se plaindre que sa pauvreté l’empêche d’élever les bâtiments nécessaires pour placer ses récoltes, et demain vous l’entendrez gémir sur le vide de ses greniers. L’abondance et la famine voyagent sur la terre bien près l’une de l’autre, et il n’est pas étonnant que celui qui vit des ressources de son esprit, soit quelquefois trompé dans ses espérances, aussi bien que celui qui se livre à un travail manuel.

— Si une habitude constante peut assurer le succès, le pieux Conrad doit prospérer, répondit Maso ; une spéculation fondée sur les fautes des autres doit être la plus active de toutes, et son commerce ne manquera jamais faute de demandes.

— Ceci est très-juste, signor Maso, et c’est surtout cette raison qui me fait regretter de ne pas avoir été destiné à un évêché ; celui qui est chargé de prêcher son prochain n’a jamais à craindre un seul moment d’oisiveté.

— Vous parlez de ce que vous ne savez pas, interrompit Conrad ; l’amour pour les saints a toujours été en diminuant depuis ma jeunesse. C’est à peine si l’on trouve à présent un chrétien disposé à échanger son argent contre les bénédictions de quelque châsse favorite ; il y en aurait eu dix autrefois. J’ai entendu dire à nos vieux pèlerins que c’était un plaisir de porter les péchés de toute une paroisse, il y a un demi-siècle : pour nous c’est une affaire dont l’importance repose plus sur la qualité que sur la quantité. Il y avait aussi autrefois des offrandes volontaires, des