Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/8

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Ses observations sur ce sujet étaient justes, et assaisonnées d’un grand bon sens. Sa doctrine était simplement celle-ci : « Si un homme gouverne, il gouvernera dans ses propres intérêts et dans ceux de ses parasites ; si la minorité gouverne, nous aurons plusieurs maîtres au lieu d’un seul. (L’honnête Jean avait pris là un mot des privilégiés qu’il tournait ingénieusement contre eux.) « Il faut que chacun de ces maîtres soit nourri et servi ; et si la majorité gouverne, et gouverne injustement, le minimum du mal est accompli. Il admettait que le peuple pouvait être trompé à son désavantage, mais il ne pensait pas que cela pût aussi facilement arriver que lorsqu’il était gouverné sans la participation d’aucun agent de sa classe. Sur ce point, l’Américain et le Vaudois étaient parfaitement d’accord.

De la politique à la poésie, la transition est naturelle, car la fiction semble être un des principes de chacune d’elles. Relativement à ses montagnes, M. Descloux était un vrai Suisse. Il s’extasiait avec éloquence sur leur sublimité, leurs orages et leurs glaciers. Le digne batelier avait, au sujet de la supériorité de sa patrie, les opinions de ceux qui n’ont jamais quitté leur pays. Il s’arrêtait avec la complaisance d’un Veveisau sur les célébrités d’une Abbaye des Vignerons, et semblait penser que ce serait un coup habile en politique, que d’instituer, le plus promptement possible, une nouvelle fête du genre de celle qui existait autrefois. Enfin, pendant l’espace d’un mois, ces deux philosophes discutèrent à qui mieux mieux sur le monde et ses intérêts.

Notre Américain n’était point homme à perdre légèrement une telle instruction. Il restait des heures entières sur les bancs du bateau, regardant les montagnes, contemplant quelque voile paresseuse sur le lac, et spéculant sur l’érudition dont le hasard le rendait accidentellement dépositaire. Sa vue, d’un côté, était limitée par le glacier du Mont-Vélan, proche voisin du célèbre Saint-Bernard ; d’un autre, son œil pouvait parcourir les beaux champs qui entourent Gènes. C’est un des plus magnifiques tableaux de la nature, et il repassa dans son souvenir toutes les actions humaines dont ce lieu avait été témoin. Par une transition assez naturelle dans cette occasion, il imagina une vie passée au milieu de ces scènes sublimes, et il réfléchit à l’influence que pourrait avoir sur les passions des hommes la présence immédiate de la majesté du Créateur, puis à l’analogie qui existait entre la nature inanimée et nos fantasques inégalités, à