Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tats les plus importants, lorsque l’impulsion qui gouverne les masses prend un ascendant absolu.

On ne doit pas supposer que Baptiste et Nicklaus Wagner contemplèrent la perte de leurs communes marchandises avec une parfaite indifférence. Loin de là, tous les deux usèrent des divers moyens en leur pouvoir pour les conserver ; non seulement ils employèrent la voix, mais encore les mains. L’un menaçait des lois, l’autre rendait Maso responsable du sort de la barque, et l’accusait de s’être approprié des droits qui ne lui appartenaient pas. Mais leurs remontrances n’étaient point écoutées. Maso savait qu’il était dégagé de toute responsabilité par sa situation, car il n’était pas facile de le mettre en contact avec les autorités et, quant aux autres, la plupart d’entre eux étaient trop insignifiants pour craindre une réparation qui tomberait sans doute sur ceux qui auraient les moyens de la supporter. Sigismond seul travaillait avec connaissance de cause, mais il travaillait pour une femme qui lui était plus chère que toutes les richesses, et il ne voyait pas d’autres conséquences que celles qui pouvaient avoir rapport à la vie précieuse d’Adelheid de Willading.

Les plus petits paquets des passagers ayant été mis en lieu de sûreté, avec le même instinct irréfléchi qui nous porte à prendre soin de nos membres lorsque nous sommes en danger, cette précaution permit à chacun de travailler avec un zèle qui ne se refroidit pas par l’intérêt personnel. Les résultats furent prompts ; cent mains, et pour ainsi dire autant de cœurs, prêtèrent leur impulsion à l’accomplissement d’un aussi important projet.

Baptiste et ses matelots, aidés par des ouvriers du port, avaient passé un jour entier à amonceler sur le pont du Winkelried cette pile de marchandises qui, maintenant, s’écoulaient pièce à pièce avec une rapidité qui paraissait magique. Le patron et Nicklaus Wagner s’enrouaient à force de malédictions et de menaces, car les travailleurs, dans cette œuvre de destruction, avaient acquis cette même impétuosité que la pierre acquiert dans la rapidité d’une descente. Les caisses, les ballots, et tout ce qui tombait sous la main, étaient jetés à l’eau avec frénésie, et sans autre pensée que la nécessité d’alléger la barque, qui gémissait encore sous leur poids. L’agitation du lac augmentait aussi progressivement. Les vagues se succédaient, et le vaisseau suivait lourdement le même mouvement qu’elles. Enfin un cri annonça que,