Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/87

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Le marin se baissa pour regarder en face celui qui lui parlait ainsi ; c’était l’étudiant westphalien.

— Ton étoile a disparu, ajouta Maso en souriant, car Maso avait souri au milieu de scènes plus terribles encore.

— Elle la regarde toujours ; elle pense à celui qu’elle aime, et qui voyage bien loin du pays de ses pères.

— C’est bien. Mais, puisque tu tiens à jeter ce ballot dans le lac, je vais t’aider. Place ton bras ainsi. Une once de force bien dirigée vaut mieux qu’une livre de force mal employée.

Réunissant leurs efforts, ils réussirent à faire ce que l’étudiant avait vainement tenté ; le ballot roula sur le passe-avant, et l’étudiant exalté poussa un cri. La barque se pencha, et le ballot passa subitement par-dessus le bord, comme si cette barque inerte eût été prise tout d’un coup du désir d’accomplir une évolution à laquelle elle avait résisté jusqu’alors. Maso reprit avec la dextérité d’un marin son équilibre, qui avait été dérangé par ce mouvement inattendu mais son compagnon n’était plus à ses côtés. S’agenouillant sur le passe-avant, il aperçut le ballot qui s’enfonçait dans les ondes et entraînait le jeune Westphalien ; il se pencha en avant pour saisir le corps, qui paraissait encore, mais il ne put le ramener à la surface du lac, les pieds de l’étudiant étaient engagés dans les cordes ou peut-être, ce qui est aussi probable, le jeune Allemand, dont l’esprit exalté s’était identifié avec l’horreur de la nuit, avait été lui-même l’instrument de sa perte, en se cramponnant avec trop d’ardeur au corps qu’il lançait dans l’eau.

La vie d’Il Maledetto avait été semée de vicissitudes et de périls. Il avait souvent vu des hommes passer de ce monde dans l’autre, et il était resté calme au milieu des cris, des gémissements, et, ce qui est plus terrible encore, des malédictions des mourants mais jamais il n’avait été témoin d’une mort aussi prompte et aussi silencieuse. Pendant plus d’une minute, il resta suspendu sur la masse sombre et agitée des eaux, espérant voir reparaître l’étudiant ; puis il perdit bientôt tout espoir, tressaillit de douleur en se relevant, et quitta enfin ce lieu funeste. Cependant la prudence lui fit une loi de se taire, et il entrevit tout d’un coup l’inutilité et même le danger de distraire les travailleurs par une aussi triste nouvelle : le pauvre étudiant disparut sans qu’un mot de regret fût prononcé sur son sort. Personne ne connut sa mort, à l’exception du marin, et personne ne s’informa de ce qu’il était