Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/117

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devait pas s’attendre à ce que les hommes et les Monikins suivissent exactement les mêmes modes ; la réunion ressemblerait à une lutte de boxeurs plutôt qu’à une conférence de philosophes ; il n’avait jamais entendu parler de pareille chose à Stonington, et il rougirait de se voir nu en présence des dames : — un vaisseau ne voguait-il pas bien mieux avec un peu de toile qu’avec des mâts dégarnis ? peut-être pourrait-on le réduire à la chemise et aux pantalons ; mais, pour ce qui était de les abandonner, il aimerait autant couper la grosse ancre, pour laisser dériver son vaisseau à la merci du vent ; — la chair et le sang n’étaient après tout que de la chair et du sang, et aimaient à trouver leurs aises ; il s’imaginerait toujours aller au bain, et chercherait un bon endroit pour plonger. Et il fit une foule d’objections semblables, auxquelles je n’avais pas songé au milieu des grands intérêts qui avaient occupé tous mes instants. J’ai souvent eu occasion de remarquer que, quand un homme se décide d’après une raison unique, mais bonne et solide, il n’est pas aisé de l’ébranler ; mais que celui qui en allègue un grand nombre, y attache ensuite moins d’importance dans le choc de la controverse. Ce fut ce qui arriva en ce moment pour le capitaine Poke. Je réussis à lui enlever ses habits, un à un, jusqu’à ce que je l’eusse réduit à la chemise, à laquelle, comme un vaisseau solide que la brise fait facilement plonger jusqu’à la superficie, il se tint opiniâtrement attaché, de manière à faire voir qu’il faudrait une force extraordinaire pour l’enfoncer plus avant. Une heureuse inspiration vint me tirer d’embarras. J’avais dans mes effets une couple de bonnes et fortes peaux de bison ; je suggérai au docteur Reasono l’expédient d’envelopper le capitaine Poke dans l’une d’elles, et le philosophe s’empressa d’y consentir, me faisant observer que tous les objets d’une fabrique simple et naturelle plaisaient aux sens des Monikins, dont les critiques ne s’adressaient qu’aux corruptions de l’art, qui leur semblaient offenser la Providence. D’après cette explication, je me hasardai à ajouter, qu’en étant encore à l’enfance de la civilisation nouvelle il serait fort commode, à raison de mes anciennes habitudes, qu’on me permît de prendre l’une des peaux, tandis que M. Poke occuperait l’autre. La proposition passa sans la moindre objection, et nous nous disposâmes sur-le-champ à nous mettre dans un état présentable.

Peu après je reçus du docteur Reasono un protocole destiné à