Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/16

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J’ai appris, aussi par une tradition incontestable, que j’ai reçue de la bouche des contemporains de mon père, que ses opinions subirent un changement matériel entre les âges de dix et de quarante ans. Cette circonstance m’a souvent porté à penser que les hommes feraient bien de ne pas trop compter sur leurs principes, pendant ce que j’appellerai la période pliante de la vie ; quand l’esprit, comme un jeune arbrisseau, plie facilement, il est soumis à l’influence des causes environnantes.

Pendant les premières années de l’âge flexible, on remarqua que mon père montrait un vif sentiment de compassion à la vue d’enfants de charité ; et il ne passait jamais près d’un enfant pleurant de faim dans les rues, sans partager sa croûte de pain avec lui, surtout si c’était un garçon portant encore des jupons. On assure que sa pratique à cet égard était constante et uniforme, quand cette rencontre avait lieu après que la compassion de mon digne père avait été éveillée par un bon dîner : fait qui peut s’attribuer au sentiment intime du plaisir qu’il allait causer.

Après seize ans, on l’entendit converser de temps en temps sur la politique, sujet sur lequel il devint expert et éloquent avant d’en avoir vingt. Son texte ordinaire était la justice et les droits sacrés de l’homme, relativement auxquels il débitait quelquefois de très-beaux discours, des discours qui convenaient à un homme placé au fond de la grande marmite sociale, qui bouillait alors comme aujourd’hui ; situation qui lui faisait mieux sentir la chaleur qui la maintenait en ébullition. On m’a assuré que peu de jeunes gens de la paroisse étaient en état de discourir avec plus de zèle et d’onction sur le sujet des taxes, et sur les griefs de l’Amérique et de l’Irlande. À peu près vers la même époque, on l’entendit crier dans les rues : — Wilkes et la liberté !

Mais, comme il arrive à tous les hommes de rares talents, il y avait dans l’esprit de mon père une concentration de force, qui imposa bientôt un joug utile et convenable à toutes ces idées errantes, qui n’étaient que l’effet de l’effervescence d’un caractère vif et ardent, et qui aboutissaient toutes à un centre commun, le réceptacle vaste et absorbant de l’intérêt personnel. Je ne réclame pour mon père aucun mérite à cet égard ; car, comme je l’ai souvent observé, — de même que ces cavaliers à la tête légère qui font d’abord lever beaucoup de poussière, et qui courent à droite et à gauche comme si la grande route n’était pas assez