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Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/167

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était pour nous tous d’une immense importance. Le contre-maître avait beau dire qu’il ne savait ni où nous étions, ni où nous allions ; Noé soutenait que nous étions dans la bonne voie, et cette assurance soutenait notre courage.

Il y avait quinze jours que nous étions dans cet état de doute et d’anxiété, lorsque le capitaine Poke parut tout à coup sur le tillac, et appela de sa voix de stentor le garçon de cabine en criant : « Ici, sapajou ! » car comme Bob était appelé souvent, par la nature de son service, auprès de la personne des Monikins, je lui avais donné un costume de peau de singe, pensant que cela leur serait plus agréable que tout autre accoutrement. Sapajou arriva incontinent, et, suivant son habitude, tourna le dos à son maître, recevant, comme sa pitance ordinaire, trois ou quatre applications postérieures, moyen ingénieux de lui faire comprendre que l’ordre qui allait lui être donné réclamait toute son activité. Dans cette occasion, je fis une singulière découverte. Les culottes de Bob avaient été taillées pour un garçon beaucoup plus grand, un de ceux qui avaient coulé bas en essayant la vraie prononciation dorique de « Monsieur » ; et il avait profité de leur dimension extraordinaire pour les doubler avec un vieux lambeau de drapeau ; ce qui, disait-il avec esprit, épargnait tout à la fois et sa peau et l’étoffe. Mais revenons à la scène qui nous occupe. Quand Bob eut reçu son nombre ordinaire de coups de pied, il se retourna courageusement, et demanda au capitaine ce qu’il y avait à faire pour son service. Il reçut l’ordre d’apporter la plus grosse et la plus belle citrouille qu’il pourrait trouver dans les provisions particulières de M. Poke : ce navigateur ne se mettait jamais en mer sans avoir ce qu’il appelait « des biscuits de Stonington. » Le capitaine prit la citrouille entre ses jambes, en ôta délicatement le dessus, de manière à ne laisser qu’une boule à peu près blanche ; il demanda alors le pot à goudron, et, avec les doigts, il traça diverses marques qui figuraient assez bien les contours des différents continents et des principales îles du monde ; seulement il laissa en blanc la région qui avoisine le pôle sud, donnant à entendre qu’elle contenait certaines îles remplies de veaux marins, qu’il regardait assez volontiers comme la propriété particulière des habitants de Stonington.

— À vous, maintenant, docteur, dit-il en montrant la citrouille au docteur Reasono : — voici la terre, et voici du goudron ; mar-