Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/173

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en sens contraire quand nous nous débattîmes à l’est du promontoire, nous passâmes aisément le cap de glace, et nous enfilâmes la crique d’une manière admirable, la proue du vaisseau glissant rapidement vers la gorge.

Ce fut l’affaire d’une ou deux minutes de brasser carré les vergues, et de prendre la position convenable pour être au vent de cet étroit passage. Au lieu de s’y précipiter en droite ligne, le capitaine Poke maintint le vaisseau de manière à lui laisser toute la liberté de ses mouvements. Cependant les deux rochers s’étaient rapprochés au point de former une voûte au-dessus de l’embouchure de la crique ; et cette voûte descendait assez bas pour qu’il fût permis de douter s’il serait possible au Walrus de passer dessous. Mais la retraite était impossible, un vent furieux contraignant le vaisseau à avancer. La largeur du passage n’était pas de plus de cent pieds, et il fallait des précautions infinies pour éviter le contact de nos vergues avec ces formidables remparts pendant que le vaisseau écumant s’enfonçait dans la gorge. Le vent se précipitait dans l’ouverture avec une violence terrible, grondant en quelque sorte de joie pour avoir trouvé un passage où il pourrait continuer à exercer sa furie. Il est possible que nous ayons été aidés par la double impulsion du vent et du courant, dont la force irrésistible nous entraînait vers le passage ; et il est fort probable aussi que l’habileté du capitaine Poke nous rendit un grand service dans cette terrible position ; ce qu’il y a de certain, c’est que, grâce à l’une ou à l’autre de ces causes, et peut-être à toutes les deux, le Walrus sut entrer dans la gorge avec assez de précaution pour éviter de toucher la glace qui en formait les parois latérales. Nous ne fûmes pas aussi heureux toutefois pour nos agrès supérieurs ; à peine le vaisseau était-il sous la voûte, qu’il heurta contre une aspérité, et que le perroquet du grand mât retomba brisé sur le chouquet. La glace se fendit en grondant sur nos têtes ; il en tomba des blocs considérables devant et derrière nous, et quelques-uns même sur le tillac. Un fragment d’une belle dimension vint se briser à un pouce de l’extrémité de la queue du docteur Reasono, tout juste pour nous épargner l’affreux malheur de voir se briser le cerveau de ce profond et philo-monikin philosophe. En moins d’une minute, le vaisseau eut franchi le passage qui, aussitôt après, se referma derrière nous avec un craquement pareil à celui d’un tremblement de terre.