Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/18

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à ce titre respectable, le fait est qu’il s’attacha bientôt à l’enfant aussi fortement que s’il eût été bien certain de lui avoir donné le jour. Il procura une excellente nourrice à la petite fille, et elle profita à vue d’œil. Elle venait d’atteindre sa troisième année, quand le marchand gagna la petite vérole de sa favorite lorsqu’elle était convalescente de la même maladie, et il en mourut le dixième jour.

Ce fut un coup imprévu et étourdissant pour mon père, qui entrait alors dans sa trente-cinquième année, et qui était premier commis de l’établissement commercial, qui avait continué à prospérer et à croître en proportion des folies et des vanités croissantes du siècle. Lorsqu’on ouvrit le testament du défunt, on vit qu’il avait légué à mon père le bail de sa boutique et son fonds de commerce, sans autre condition que de payer les marchandises au prix coûtant ; il l’avait en outre nommé son exécuteur testamentaire, et tuteur de la petite Betsy, qu’il avait instituée sa légataire universelle.

Un lecteur ordinaire pourra être surpris qu’un homme qui avait si longtemps exploité les folies de ses semblables, ait eu assez de confiance dans un simple garçon de boutique, pour laisser si complètement tous ses biens à sa disposition. Mais il faut se rappeler que l’esprit humain n’a pas encore inventé un moyen à l’aide duquel nous puissions emporter nos biens dans l’autre monde ; « qu’il faut endurer ce qu’on ne peut guérir ; » qu’il fallait nécessairement qu’il choisît quelqu’un pour remplir les fonctions importantes d’exécuteur testamentaire et de tuteur de l’enfant ; et qu’il valait mieux confier son argent à un homme qui, connaissant le secret par lequel il avait été accumulé, avait moins de tentations à être malhonnête que tout autre qui aurait senti l’impulsion de la cupidité, sans savoir comment la satisfaire d’une manière directe et légale. On a donc conjecturé que le testateur avait pensé qu’en laissant son commerce à un homme qui en connaissait les détails aussi bien que lui, dans toute l’imperfection morale et pécuniaire, il prenait une mesure suffisante pour l’empêcher de commettre le crime de péculat, en lui fournissant amplement des moyens plus simples de s’enrichir. D’ailleurs, il est juste de présumer que la longue connaissance qu’il avait de mon père avait affaibli l’effet de cette sentence, qu’un bel esprit a mise dans la bouche d’un plaisant : « Nommez-moi votre exé-