Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/234

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cri ; quelques courtisans coururent involontairement à lui pour l’aider à se relever, — car c’est toujours involontairement que les courtisans courent au secours des princes, — et une douzaine de dames lui offrirent leurs flacons de sel volatil et d’eau de senteur avec l’empressement le plus aimable. Pour prévenir toutes suites fâcheuses, je me hâtai d’informer la foule qui l’entourait que telle était la manière, en Grande-Bretagne, de témoigner son respect aux membres de la famille royale, et que c’était un tribut d’honneur qui leur était dû. À l’appui de ce que je disais, je saluai le jeune drôle de la même manière que l’avait fait le capitaine. Les courtisans, qui savaient que chaque nation à ses coutumes différentes, s’empressèrent de rendre les mêmes honneurs au jeune prince ; et enfin le cuisinier et l’intendant eux-mêmes les imitèrent pour se désennuyer. Bob ne put résister à ce dernier trait et il se disposait à battre en retraite, quand le maître des cérémonies vint le conduire en présence du roi.

L’esprit du lecteur ne doit pas se laisser égarer par les honneurs qu’on rendait sa ce prince supposé, ni en conclure que la cour de Leaphigh avait un grand respect pour celle de la Grande-Bretagne. On n’agissait que d’après le principe qui avait déterminé la conduite de notre docte souverain Jacques Ier quand il avait refusé de voir l’aimable Pocahontas de Virginie, parce qu’elle avait dégradé la royauté en épousant un de ses sujets. Le respect était accordé à la caste, non à l’individu, ni à son espèce, ni à sa nation.

À quelque cause qu’il dût ses privilèges, Bob ne fut pas fâché de se trouver hors de l’atteinte du pied du capitaine Poke, qui l’avait déjà menacé, en termes très-intelligibles, prononcés dans le dialecte de Stonington, de démonter sa queue à la barbe de Sa Majesté. Quelques instants après, les portes furent ouvertes, et toute la compagnie entra dans le grand salon d’audience.

L’étiquette de la cour de Leaphigh diffère, en beaucoup de points essentiels, de celle des autres cours du pays des Monikins. Le roi et la reine, autant qu’on puisse le savoir, ne se montrent jamais à personne. En cette occasion, deux trônes étaient placés aux deux extrémités de la salle, et un magnifique rideau de damas cramoisi était tiré par-devant, de manière à ce qu’il fût impossible de voir qui y était assis. Sur la marche la plus basse de chaque trône étaient assis, d’un côté un chambellan, de l’autre