Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/263

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ne peut mal faire. Or, messieurs les jurés, quand une chose ne peut se faire, elle devient impossible, et par conséquent elle est hors de la portée des arguments. Il n’est pas important de savoir si un individu a une mémoire quand il ne peut s’en servir ; et en pareil cas, la présomption légale est qu’il n’en a point ; sans quoi la nature, qui est toujours sage et bienfaisante, prodiguerait ses dons sans nécessité.

« Messieurs les jurés, je vous ai déjà dit que, dans le cas présent, vous êtes juges de la loi et du fait. Le sort du prisonnier est entre vos mains. À Dieu ne plaise que je veuille exercer quelque influence sur vos opinions ! mais il s’agit d’une offense contre la dignité du roi et la sûreté de l’État. La loi est contre le prisonnier ; tous les faits sont contre le prisonnier ; et je ne doute pas que la déclaration que vous allez rendre ne soit la décision spontanée de votre excellent jugement, et de nature à nous dispenser d’ordonner la révision du procès. »

Les jurés mirent leurs queues ensemble, et en moins d’une minute leur chef rendit une déclaration de « coupable. » Noé soupira et mit une nouvelle chique dans sa bouche.

L’affaire qui concernait la reine commença sur-le-champ, après que l’accusé eut également déclaré qu’il n’était pas coupable. Le procureur général de la reine fit d’abord une attaque très-sérieuse contre l’animus de l’infortuné prisonnier, et dépeignit ensuite Sa Majesté comme étant le modèle de son sexe, et possédant toutes les vertus. Si une princesse, si justement célèbre par sa charité, sa douceur, sa religion, sa justice, et son exactitude à s’acquitter de tous les devoirs de son sexe, n’avait pas de mémoire, qui pourrait prétendre à en avoir ? Privée de mémoire, comment pourrait-elle rappeler leurs devoirs au roi son époux, aux princes ses enfants, aux princesses ses filles, et se rappeler les siens à elle-même ? La mémoire était un attribut particulièrement royal, et sans mémoire personne ne pouvait être considéré comme étant de haut et ancien lignage. La mémoire avait rapport au passé ; la considération due à la royauté était à peine une considération présente ; c’en était une qui se rattachait au passé ; le temps se divisait en passé, présent et futur. Le passé était essentiellement monarchique ; les républicains réclamaient le présent ; le futur était à la disposition du destin. Dire que la reine n’avait pas de mémoire, c’était porter un coup mortel à la