Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il n’avait paru prendre un pareil intérêt à son bonheur ; et s’il n’avait été trop tard, cet éclair de sensibilité aurait pu tirer du flambeau conjugal une flamme bien différente de la pâle lueur qu’il avait donnée jusqu’alors.

— Nous avons un fils, monsieur Goldencalf, un fils unique !

— Oui, Betsy, et ton cœur se réjouira sûrement de savoir que le médecin pense qu’il a l’air de vouloir vivre plus longtemps qu’aucun de ses pauvres frères et sœurs.

Je ne puis expliquer le saint et mystérieux principe de l’amour maternel, qui fit que ma mère joignit les mains, leva les yeux au ciel ; et murmura des actions de grâces à Dieu de cette faveur, tandis qu’une faible rougeur lui colorait les joues. Elle allait elle-même partager le bonheur éternel des âmes pures et innocentes, et son imagination, quoique simple et nullement exaltée, lui traçait sans doute un tableau dans lequel elle se voyait avec les enfants qu’elle avait perdus ; devant le trône du Très-Haut, chantant sa gloire, et brillant au milieu des autres ; et cependant elle se réjouissait de ce que le dernier de ses enfants, celui qu’elle chérissait le plus, allait rester exposé aux maux et aux vices d’un monde auquel elle renonçait elle-même avec tant de résignation.

— C’est de notre fils que je désirerais vous parler, reprit ma mère, quand ce moment de dévotion secrète fut passé. Cet enfant aura besoin d’instruction et de soins ; en un mot, il lui faudra un père et une mère.

— Tu oublies qu’il lui restera encore un père, Betsy.

— Vous êtes fort occupé de vos affaires, monsieur Goldencalf ; et sous d’autres rapports, vous n’êtes pas propre à élever un enfant qui a le malheur d’être né pour être exposé aux tentations d’une richesse immense.

Mon excellent père eut l’air de croire un instant que sa femme mourante avait déjà perdu l’usage de ses sens.

— Il y a des écoles publiques, Betsy ; je te promets que l’enfant ne sera pas oublié : il sera bien élevé quand il devrait m’en coûter mille livres sterling par an.

Sa femme étendit un bras décharné, prit la main de mon père, et la serra avec toute la force que pouvait avoir une mère mourante. Elle parut un instant être délivrée de sa dernière inquiétude ; mais une expérience de trente ans lui avait appris à