Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/38

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politique, plus on s’accoutume à jeter de la boue à ses voisins. Je me bornerai donc à dire que la plupart des choses que je viens de rapporter, m’ont été transmises par tradition, car je voyais mon père assez rarement, et quand nous nous rencontrions, c’était pour régler nos comptes, manger un gigot de mouton ensemble, et nous séparer en gens qui du moins ne s’étaient jamais querellés. Il n’en était pas de même du docteur Etherington. L’habitude, — pour ne rien dire de mon mérite, — l’avait attaché à un jeune homme qui devait tout à ses soins, et sa porte m’était toujours ouverte comme si j’eusse été son propre fils.

J’ai déjà dit que je passais dans son presbytère la plus grande partie du temps où je n’avais rien à faire, — ne parlant pas de celui que j’avais mal employé au collège et à l’université.

Un an ou deux après la mort de ma mère, cet excellent ministre avait épousé une femme fort aimable. Elle était morte au bout d’un an de mariage, le laissant père d’une petite miniature qui était le portrait de sa mère. Soit par la force de son affection pour la défunte ou pour sa fille, soit parce qu’il n’espérait pas trouver dans un second mariage le bonheur qu’il avait goûté dans le premier, le docteur ne songea jamais à prendre une autre femme. Il se contenta de remplir ses devoirs d’homme et de chrétien, sans les augmenter en se créant de nouveaux rapports avec la société.

Anna Etherington était nécessairement ma compagne constante pendant mes longues et délicieuses visites au presbytère. Elle avait trois ans de moins que moi, et l’amitié avait commencé de ma part par cent petits actes d’affection enfantine. Lorsqu’elle était entre sept et douze ans, je la traînais dans le jardin dans un petit chariot, je la faisais aller à la balançoire ; j’essuyais ses yeux et je lui adressais quelques paroles de consolation quand un nuage passager couvrait le soleil de son enfance. De douze à quatorze ans, je lui contais des histoires ; je l’étonnais en lui faisant le récit de tous mes exploits à Eton, et je lui faisais ouvrir ses beaux yeux bleus, en admiration des merveilles de Londres. Lorsqu’elle eut atteint ce dernier âge, je commençai à ramasser son mouchoir de poche, à chercher son dé, à l’accompagner dans des duos, ou bien je lui lisais de la poésie tandis qu’elle avait en main son aiguille. Quand elle eut environ dix-sept ans, je me mis à comparer ma cousine Anna, comme il m’était permis de l’appeler, avec les jeunes demoiselles de ma connaissance, et la com-