Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 14, 1839.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

face de moi, et par une exclamation, tandis qu’une voix s’écriait avec un accent anglais très passable :

— Nom d’un roi !

Au centre des planches qui tenaient lieu de table, était un poing fermé d’une dimension formidable, et qui, par sa couleur et ses protubérances, ressemblait beaucoup à un topinambour nouvellement déterré ; ses nerfs semblaient sur le point de se rompre, à force de tension, et il avait une telle apparence d’être préparé pour boxer, que mes yeux cherchèrent involontairement la figure qui appartenait au même corps. Je m’étais assis, sans le savoir, précisément en face d’un homme dont la taille avait presque le double de celle des ouvriers bruyants qui étaient à causer ou plutôt à brailler de tous côtés autour de nous ; ses lèvres desséchées, au lieu de s’ouvrir pour prendre part au tintamarre général, étaient tellement serrées, que la fente qui fermait sa bouche n’était pas plus marquée qu’une ride sur le front d’un homme de soixante ans ; son teint était naturellement blanc, mais à force d’être exposé à l’action du soleil et des éléments, son visage avait pris la couleur de la peau d’un cochon de lait rôti ; les parties qu’un peintre appellerait « les joues », étaient indiquées par des touches de rouge qui brillaient comme une quintessence d’eau-de-vie ; ses yeux étaient gris, petits, mais pleins de feu, et à l’instant où ils rencontrèrent mes regards admirateurs, ils ressemblaient à deux charbons enflammés, qui avaient sauté hors du brasier de sa figure ; il avait un nez long, mais bien fait, le long duquel s’étendait une peau semblable au cuir qui est entre les mains du corroyeur ; ses cheveux noirs, semblables à du crin, étaient rabattus avec soin sur son front, de manière à montrer qu’il était sorti pour une excursion de jour de fête.

Lorsque nos yeux se rencontrèrent, cet être singulier me fit un signe de tête d’un air amical, sans autre raison que je pusse découvrir que celle que je n’avais pas l’air d’être Français.

— A-t-on jamais entendu de pareils fous, capitaine ? me dit-il, comme s’il eût été certain que nous devions penser de même sur ce sujet.

— Réellement je n’ai pas fait attention à ce qu’ils disent, mais il est de fait qu’ils font beaucoup de bruit.

— Je ne prétends pas moi-même entendre leur jargon, mais cela sonne comme si c’étaient des bêtises.