Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 15, 1839.djvu/138

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nées. Elles sont aussi délicates que vous-mêmes, et dignes d’être servies à une sirène, s’il en existe.

— Je vous remercie de votre offre, capitaine, mais je vous prie de trouver bon que je ne l’accepte pas, et que je vous renvoie au plénipotentiaire de mademoiselle Viefville, répondit Ève en riant ; car elle ne voulut pas dire qu’elle avait concouru elle-même à lui donner ses instructions.

— Vous voyez bien, capitaine, reprit M. Sharp, que vous aurez à traiter avec moi, d’après tous les principes établis par Vattel.

— Et je vous traiterai aussi, mon cher Monsieur. Souffrez que je vous persuade d’essayer une tranche cet anti-abolitionniste, dit le capitaine en plaçant son couteau sur le jambon qu’il continuait à regarder avec une sorte d’intérêt mélancolique. — Non ? soit ! Je crois qu’il est aussi mal d’insister trop longtemps que de ne pas offrir. — Eh bien ! Monsieur, je suis convaincu, après tout, comme Saunders le disait tout à l’heure, que Vattel lui-même, à moins qu’il ne fût plus déraisonnable en cuisine qu’en matière de droit public, aurait été plus heureux après avoir été vingt minutes assis à cette table qu’avant de s’y mettre.

Sharp, voyant qu’il était inutile d’attendre une réponse à sa question, résolut de laisser la conversation suivre son cours, et entra dans les idées du capitaine.

— Si Vattel eût approuvé un tel repas, dit-il, peu de gens ont le droit de se plaindre de leur fortune, quand il leur est permis de le partager.

— Je me flatte, Monsieur, dit Saunders, que je m’entends en souper, surtout pendant un ouragan, aussi bien que M. Vattel et qui que ce soit au monde.

— Et cependant, reprit M. Sharp, Vattel était un des plus célèbres cuisiniers de son temps.

— Cuisinier ! s’écria le capitaine ; Vattel, cuisinier ! Voilà la première fois que j’entends dire une pareille chose.

— Je puis vous affirmer sur mon honneur, Monsieur, qu’il a existé un Vattel qui était en ce genre l’artiste le plus distingué de son siècle. Il est pourtant possible que ce ne soit pas votre Vattel.

— Il n’a jamais pu exister deux Vattel, Monsieur. — Cette nouveauté me paraît fort extraordinaire, et je sais à peine qu’en penser.

— Si vous doutez de ce que je vous dis, interrogez quelque autre passager ; M. Effingham ou son cousin, M. Blunt, miss Effingham ; surtout mademoiselle Viefville. Elle peut, je crois, mieux que personne, confirmer ce que je viens de vous dire, car il était de son pays.


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